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la vie, quelle brillante flotte nous environne ! comme nous déployons avec joie nos voiles neuves au souffle de la brise ! Notre navire est « gréé à la mode de Bristol[1] ; » les banderoles flottent dans les airs ; la musique fait entendre ses accords harmonieux : elle réjouit l’oreille à mesure que nous voguons, et chaque passager se sent plus disposé à rire qu’à s’alarmer, lorsque quelque maladroit compagnon de route vient à échouer, faute d’un bon pilote. Hélas ! quand le voyage est presque terminé et que nous regardons autour de nous, qu’il reste peu de chose de cette brillante flotte qui nous accompagnait ! Quelques bâtiments peut-être ; mais comme ils ont été battus par les tempêtes, comme leurs mâts sont brisés, leurs voiles déchirées ! comme ils s’efforcent, ainsi que nous, de lutter contre la vague et d’éviter, aussi long-temps que possible, la côte funeste contre laquelle un jour nous devons tous échouer !

Cette vérité assez banale, mais triste, se fit sentir à moi dans toute sa force, un jour où l’on venait de me remettre un paquet cacheté de noir. Il renfermait une lettre qui m’était adressée par feu mon excellente amie mistress Martha Bethune Baliol, et portait cette fatale inscription : « Pour être remis à son « adresse lorsque je ne serai plus. » Le paquet était accompagné d’un billet de son exécuteur testamentaire, qui me mandait qu’elle me léguait, par son testament, un tableau de quelque valeur, qui, disait-elle, conviendrait parfaitement pour remplir l’espace vide au-dessus du buffet, dans ma salle à manger : elle y ajoutait cinquante guinées pour m’acheter une bague. Avec ces dernières preuves d’un attachement qui s’était maintenu pendant tant d’années, je me vis séparé d’une excellente amie. Quoique assez âgée pour avoir été la compagne de ma mère, mistress Baliol était encore, par la gaieté de son esprit et la douceur enchanteresse de son caractère, capable d’être l’âme de toute une société, même parmi ceux qui peuvent encore se dire jeunes, avantage que, pour ma part, j’ai perdu depuis trente-cinq ans.

Je devinai sans peine ce que contenait le paquet, et j’en ai déjà dit quelque chose dans le chapitre précédent ; mais, pour instruire le lecteur de plusieurs particularités nécessaires, et satisfaire mon cœur, en rappelant les vertus et les qualités aimables de mon amie, je tracerai ici une courte esquisse de ses mœurs et de son caractère.

  1. Bristol est un des plus grands ports de commerce de l’Angleterre, situé vis-à-vis de l’Irlande, un peu plus bas que Liverpool. Vers d’une ballade.