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CHAPITRE V.

interdit ; mais quel berger, arrivé presque à la soixantaine, résiste aux avances d’une belle contemporaine ? De part et d’autre, nous nous laissâmes aller à tout le plaisir de cette reconnaissance : honni soit qui mal y pense ! et Janet reprit sur-le-champ :

« Vous entrerez, j’espère, monsieur Croftangry ; sans doute vous viendrez voir notre ancien logement, et Janet vous remettra cette fois les quinze shillings qu’elle devait vous rendre, lorsque vous vous êtes mis à courir, sans me dire : adieu, Janet. Mais n’en prenez souci, » ajouta-t-elle en souriant ; « Janet voyait bien que le temps vous pressait et vous emportait. »

Nous étions alors dans mon ancien asile, et Janet, une bouteille d’excellent cordial dans une main et un verre dans l’autre, m’avait forcé de prendre quelques gouttes d’usquebaugh, distillé avec du safran et d’autres herbes, selon une ancienne recette montagnarde. Alors elle déplia plusieurs petits morceaux de papier, dans le dernier desquels se trouvait la somme de quinze shillings, que Janet gardait comme un trésor sacré depuis vingt ans et plus.

« Les voici ! » s’écria-t-elle d’un air de triomphe et d’honnêteté touchante, « les voici ! Ce sont exactement les mêmes que je tenais à la main, et que je vous présentai, lorsque vous vous mîtes à fuir comme si l’on vous eut jeté un sort. Janet a eu de l’argent, et Janet en a manqué bien des fois depuis ce temps. Le receveur des taxes est venu, et le boucher et le boulanger. Dieu nous bénisse ! on eût dit qu’ils voulaient déchirer en morceaux la pauvre vieille Janet ; mais elle a toujours pris soin de garder les quinze shillings de M. Croftangry.

— Mais si je n’étais jamais revenu, Janet ?

— Oh ! si j’avais entendu dire que vous étiez mort, j’aurais donné cet argent aux pauvres de la chapelle, afin qu’ils priassent pour M. Croftangry, » dit Janet en se signant, car elle était catholique. « Peut-être pensez-vous que cela ne vous eût pas servi à grand’chose, continua-t-elle ; mais n’importe, les bénédictions du pauvre ne peuvent jamais nuire. »

J’applaudis de bon cœur à cette conclusion. Prier Janet de considérer cette petite somme comme sa propriété aurait été peu délicat après une conduite si exemplaire ; je la suppliai donc d’en disposer comme elle l’avait résolu dans la supposition de ma mort, et, dans le cas où elle connaîtrait quelque infortuné à qui cette chétive somme pût être utile, de la lui donner.