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CHAPITRE IV.

dent de lui en répéter davantage. Je puis user de beaucoup de liberté avec celui dont nous parlons ; mais si quelque autre lui portait la moitié de votre message, je ne répondrais pas qu’il en revînt sain et sauf. Je vois maintenant que la nuit sera belle : je vais me remettre en chemin pour la ville de…, où je prendrai demain matin la diligence qui me conduira à Édimbourg. »

En disant cela, je payai mon modeste écot, et je pris congé de la vieille, sans avoir pu découvrir si son cœur prévenu et endurci soupçonnait qu’il y eût identité de personne entre son hôte et ce Chrystal Croftangry, contre lequel elle nourrissait tant de haine.

La nuit, en effet, était belle et froide ; mais, au moment où j’en avais parlé, il aurait fait un temps de déluge, que réellement je ne m’en serais point aperçu. Je n’avais pris ce prétexte que pour échapper à la vieille Christie Steele. Les chevaux de course qui parcourent le Corso de Rome sans être montés portent des espèces d’éperons pour les exciter ; ce sont de petites boules d’acier, garnies de pointes aiguës et attachées à des courroies de cuir. Ces boules, mises en mouvement par la rapidité de la course, poussent le cheval au galop. Les reproches de la vieille firent sur moi l’effet de ces éperons, et me firent prendre un pas accéléré, comme si c’eût été un moyen d’échapper à mes souvenirs. Lorsque, dans la vigueur de ma jeunesse, je faisais des marches forcées pour le plaisir de gagner une gageure, je doute fort que j’aie couru avec plus de vitesse que je ne le fis depuis l’auberge des Armes de Treddles jusqu’à la petite ville où je me rendais. Quoique la nuit fût très-froide, j’avais tellement chaud lorsque j’arrivai à l’auberge, qu’il me fallut, pour me rafraîchir, une pinte de porter et une demi-heure de repos. Jusque-là je ne pus prendre sur moi de ne plus songer à Christie, et de dédaigner ses opinions comme celles de toute autre vieille femme entichée de préjugés vulgaires. Enfin, je résolus de traiter la chose comme une pure bagatelle, et, ayant demandé ce qu’il me fallait pour écrire, je mis un billet de 100 livres sterling dans une feuille de papier, et je mis ces lignes sur l’enveloppe :

Chrystal, enfant de la perdition,
Que son destin a promis au démon,
À dame Steele offre aujourd’hui ce don.[1]

Et je fus tellement satisfait de cette nouvelle manière d’envisa-

  1. Ces trois rimes redoublées se nomment en anglais un triplet ; on en voit de fréquents exemples dans Pope. a. m.