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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

quiconque l’aurait traité de menteur. Mais, lorsqu’il promettait à un honnête marchand de le payer à un terme fixe, tenait-il sa parole ? Lorsqu’il promettait à une pauvre fille de réparer son déshonneur, lui disait-il vrai ? Et qu’est-ce que c’est qu’un tel homme, si ce n’est un menteur perfide ; un mauvais cœur par dessus le marché ? »

L’indignation me gagnait, mais je m’efforçais de la contenir ; et au fait, ma colère n’aurait servi qu’à ajouter au triomphe de mon interlocutrice. Je soupçonnais en effet qu’elle commençait à me reconnaître ; cependant elle témoignait si peu d’émotion que je ne pouvais croire ce soupçon fondé. Je continuai donc de l’air le plus indifférent que je pus prendre. « Eh bien, bonne femme, je vois que vous ne croirez aucun bien de ce Chrystal que lorsqu’il sera revenu, qu’il aura racheté quelque bonne ferme de ce domaine, et qu’il vous y aura établie comme sa femme de charge. »

La vieille femme laissa échapper le fil qu’elle tenait, joignit les mains et leva les yeux au ciel avec une expression de terreur. « Que le Seigneur nous garde de ce mal ! s’écria-t-elle, que le ciel dans sa miséricorde puisse le détourner de ce projet ! Oh ! monsieur, si réellement vous connaissez ce malheureux homme, persuadez-lui de ne s’établir que là où l’on voit le bien que vous dites de lui, et où l’on ne sait rien des sottises du temps passé. Il était passablement orgueilleux, je m’en souviens : en bien, pour l’amour de lui, ne le laissez pas venir ici… oui, certainement il avait de la fierté… oh ! je vous le répète, ne le laissez pas venir ! »

Ici elle rapprocha encore son rouet et se mit à en tirer le chanvre à deux mains. « Non, non, qu’il ne vienne pas pour être regardé avec mépris par ce qui reste encore de ses compagnons de débauche, et pour voir les honnêtes gens, qu’il regardait avec hauteur, le regarder à leur tour avec dédain, soit à l’église, soit sur la place du marché. Qu’il ne revienne pas dans son pays, pour servir de fable à tout le monde, pour que les voisins se le montrent au doigt, en disant ce qu’il est, ce qu’il fut, comment il ruina un beau domaine, comment il mangea une honnête fortune, et souilla la maison paternelle en y introduisant des femmes perdues qui forcèrent sa mère à en sortir ; comment une simple servante de sa propre maison prédit qu’il ne serait jamais qu’un enfant de perdition ; comment cette prophétie s’est accomplie ; comment…

— Arrêtez, bonne femme, s’il vous plaît, interrompis-je ; à peine pourrai-je me rappeler tout cela, et peut-être ne serait-il pas pru-