Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/55

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
CHAPITRE IV.

plus substantiel que du pain et du beurre, et que je parlai de souper et de coucher, elle me conduisit dans la chambre où elle avait l’habitude de se tenir, et qui était probablement la seule où l’on fît du feu, quoiqu’on fût en octobre. Ceci s’accordait avec mon plan ; et comme elle se disposait à emporter son rouet, je la priai de rester, et d’avoir la bonté de me faire mon thé, ajoutant que j’aimais le bruit du rouet et que je désirais ne déranger en rien ses occupations domestiques.

« Je ne sais trop si cela vous plaira, monsieur, » me répondit-elle d’un ton sec et revêche qui me fit tout à coup rétrograder de vingt années : « je ne suis pas du nombre de ces hôtesses engageantes qui cherchent à se rendre agréables en racontant les nouvelles et les bavardages du pays. J’allais vous allumer du feu dans la chambre rouge ; mais si vous préférez rester ici, celui qui paie a le droit de choisir son logement. »

Je m’efforçai d’entrer avec elle en conversation ; mais elle ne répondait à tout ce que je lui demandais qu’avec une sorte de politesse raide et contrainte : je ne pus l’engager dans aucune causerie franche et amicale ; et tour à tour elle regardait son rouet, puis la porte, comme si elle eût médité une retraite. Je fus donc obligé d’en venir à quelques questions spéciales, de nature à intéresser une femme dont les idées ne pouvaient se renfermer que dans un cercle fort étroit.

C’est dans l’appartement où nous nous trouvions que j’avais vu ma pauvre mère pour la dernière fois. L’historien de ma famille, dont j’ai déjà parlé, s’était fort étendu sur les embellissements qu’il avait faits à cette même maison de Duntarkin ; il racontait très-longuement comment, à l’époque de son mariage, lorsque sa mère avait pris possession de cette habitation en qualité de douairière, il avait fait à ses frais et dépens, recouvrir d’une boiserie les murs du grand salon, le même où j’étais assis alors ; comment il l’avait fait garnir de panneaux ; comment il avait fait couvrir les solives par un plafond en plâtre, décorer l’appartement d’une cheminée concave, de quelques tableaux, d’un baromètre, d’un thermomètre, etc. Il s’étendait particulièrement sur une chose que sa bonne mère, disait-il, prisait plus que toutes les autres : c’était son portrait à lui, placé comme trumeau de cheminée, et peint, selon lui, par une main très-habile. En effet, le portrait était encore à la même place, et il représentait assez bien les traits que j’avais supposés au bonhomme, d’après le caractère de son écriture.