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CHAPITRE III.

moins a été vivandiére : elle sait ce que c’est que tenir un débit de comestibles.

— C’eût été certainement un grand avantage.

— Mais je ne sais trop si j’aurais permis à Eppie d’accepter cette auberge, dans le cas où on la lui aurait offerte.

— C’est différent.

— Cependant je n’aurais point voulu offenser M. Treddles ; il était un peu chatouilleux quand on le frottait à rebrousse-poil. Du reste, c’était un homme rempli des meilleures intentions du monde. »

Il me tardait d’être débarrassé de ce bavard oisif, et, me trouvant en ce moment à l’entrée d’un sentier qui pouvait couper court jusqu’à Duntarkin, je mis une demi-couronne dans la main de mon guide, et lui souhaitant le bonsoir, je m’enfonçai dans le bois.

« Grand merci, monsieur ! non, non, fi donc ! ce n’est pas d’un homme comme vous que je voudrais accepter… Attendez donc, ce n’est pas par là que vous trouverez le chemin. Mais, sur ma foi ! il a l’air de connaître la route aussi bien que moi… Qui diable est donc cet homme ? je voudrais bien le deviner. »

Telles furent les dernières paroles que me fit entendre la voix rauque et monotone de mon guide. Heureux d’être débarrassé de lui, je marchai rapidement, en dépit des grosses pierres, des trous et des ornières qui obstruaient la route. Tout en cheminant, je répétais mentalement quelques vers d’Horace et de Prior, ainsi que de bien d’autres poëtes, qui ont vanté les charmes d’une vie à la fois littéraire et champêtre. Je tâchais ainsi de rappeler à mon esprit les rêveries de la nuit précédente et celles du matin, pendant lesquelles je m’étais vu d’avance établi dans quelque ferme détachée du domaine de Glentanner,


Qu’enclot en un vallon le penchant des côteaux,
Couronnés de tilleuls, de chênes et d’ormeaux.


Dans ce paisible ermitage, muni d’une petite bibliothèque, d’un modeste cellier, d’un lit en réserve pour un ami, je devais vivre plus heureux, plus honoré qu’au temps où je possédais la baronnie entière. Mais la vue de Castle-Treddles avait fait évanouir tous mes châteaux en Espagne. La triste réalité, comme une pierre tombée dans une fontaine limpide, avait troublé l’image riante des objets qui se répétaient sur le cristal, et vainement j’essayai de re-