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CHAPITRE III.

opposée au style architectural qu’on avait prétendu reproduire, et parce que chaque angle était orné d’une tourelle grosse à peu près comme une poivrière. Sous tout autre rapport, cet édifice ressemblait à une grande maison de ville : on eût dit un bon bourgeois bien replet qui, après s’être promené dans la campagne par un beau jour de fête, grimpe sur une hauteur pour jouir de la perspective environnante. Le rouge brillant de la pierre de taille, les dimensions de l’édifice, la régularité de sa forme, étaient bien peu en harmonie avec l’aspect majestueux de la Clyde qui coule en face, et le murmure du ruisseau sur la droite : ainsi la taille épaisse d’un gros citadin, sa perruque, son habit marron, ses bas de soie, et sa canne à pomme d’or, feraient un étrange contraste au milieu du paysage sauvage et magnifique de Corra Linn[1].

Je m’avançai vers la maison. Elle était dans l’état d’abandon et de dégradation le plus pénible à contempler ; car elle tombait en ruines sans avoir été jamais habitée. Rien sur ces murs abandonnés n’indiquait la main du temps qui, dans sa marche lente et solennelle, imprime aux édifices, ainsi qu’aux formes humaines, tout en les dépouillant de leur force et de leur beauté, un caractère imposant et respectable. Les projets manques du laird de Castle-Treddles avaient ressemblé au fruit qui se gâte avant d’avoir mûri. Des vitres cassées, quelques-unes remplacées par du papier, d’autres par des planches de sapin, donnaient un air de désolation à tout cet édifice et semblaient dire : « Ici la vanité avait projeté de fixer son séjour, mais la misère l’a devancée. »

Après avoir cherché, demandé vainement pendant long-temps, je fus enfin admis dans la maison par un vieux jardinier. Elle possédait à l’intérieur tout ce que la commodité et le luxe peuvent inventer ; les cuisines pouvaient servir de modèle ; et il y avait sur l’escalier de l’office des bouches de chaleur, pour que les mets, comme le dit le proverbe écossais, pussent ne pas refroidir entre les fourneaux et la salle à manger. Mais au lieu du fumet exquis de la bonne chère, ces temples de Comus n’exhalaient que l’odeur humide des voûtes sépulcrales ; et ces vastes réservoirs de chaleur, construits en fer, ressemblaient aux cages de quelque bastille féodale. La salle à manger, le salon et le boudoir étaient magnifiques ; les plafonds étaient ornés de moulures et de sculptures en stuc, déjà brisées çà et là, ou gâtées par l’humidité ; le bois des panneaux avait travaillé et s’était fendu ; les portes, qui n’étaient

  1. Une des plus belles chutes de la Clyde, près du château de Corra. a. m.