Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/303

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rien, mon Richard, ne pleurez pas ! je vais répondre à la foudre du ciel par une musique divine. »

Elle courut à un clavecin qui se trouvait dans la chambre, tandis que la domestique et le maître se regardaient l’un l’autre, comme s’ils eussent cru que sa raison allait l’abandonner entièrement ; elle promena ses doigts sur les touches, produisant une harmonie bizarre, composée de passages que lui fournissait sa mémoire, entremêlés d’improvisations : enfin sa voix et l’instrument s’unirent pour exécuter une de ces magnifiques hymnes, par lesquelles sa jeunesse avait célébré le Créateur, en les accompagnant de sa harpe, comme le saint roi qui en fut l’auteur. Des larmes silencieuses coulaient de ses yeux levés au ciel… Les sons de sa voix s’élevèrent par degrés à un éclat extraordinaire, même parmi les plus beaux organes, puis baissèrent peu à peu en cadences mourantes, et s’éteignirent pour ne jamais recommencer… car la chanteuse était morte avec le chant.

On peut imaginer de quel désespoir le malheureux époux fut saisi, quand il fut assuré de l’impuissance de ses efforts pour ramener Zilia à la vie. On envoya des domestiques chercher Hartley et tous les médecins qu’on pourrait trouver. Le général se précipita dans l’appartement dont ils venaient de sortir, et, dans sa précipitation, heurta Middlemas, qui, entendant de la musique dans une pièce voisine, s’était naturellement rapproché de la porte : surpris autant qu’effrayé de l’espèce de clameur, des pas précipités et des voix confuses qui y succédèrent, il était demeuré à la même place, tâchant de découvrir la cause d’un semblable tumulte.

La vue de l’infortuné jeune homme exalta jusqu’à la frénésie la douleur violente du général. Il parut ne reconnaître dans son fils que la cause de la mort de sa femme. Il le saisit par le collet en le secouant avec violence, tandis qu’il l’entraînait dans la chambre où venait d’arriver l’événement fatal.

« Viens ici, dit-il, toi, pour qui une vie obscure était un trop humble destin… viens ici, et reconnais les parents dont tu as été si jaloux… que tu as si souvent maudits. Regarde ce visage pâle et amaigri, cette figure de cire plutôt que de chair et de sang… C’est ta mère… c’est la malheureuse Zilia Monçada, pour qui ta naissance fut une source de honte et de misère, et à qui ta fatale présence vient de causer la mort. Regarde-moi… » ajouta-t-il en repoussant Richard loin de lui, et en se redressant de toute sa