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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

et s’étonner de n’avoir jamais entendu parler de vous. » Ces paroles furent un nouveau trait qui perça mon cœur ; mais elle poursuivit : « Je ne sais réellement pas s’il est convenable que… Si mon oncle vous reconnaissait, ce que j’ai peine à croire, il serait vivement ému, et le docteur assure que toute agitation… Mais voici le docteur, il vous donnera lui-même son avis.

Le médecin entra. Lorsque je l’avais quitté, c’était un homme de moyen âge ; maintenant je voyais en lui un vieillard. Mais c’était toujours le même samaritain bienfaisant, répandant le soulagement et la consolation partout où il allait, et regardant les bénédictions du pauvre comme une récompense aussi réelle que l’or du riche.

Il me regarda avec l’expression de la surprise. La jeune dame dit un mot comme pour me présenter, et moi, qui avais eu autrefois des rapports avec lui, je m’empressai de me faire reconnaître. Il se ressouvint de moi parfaitement, et me fit comprendre qu’il connaissait les motifs que j’avais pour prendre un vif intérêt au sort du malade. M’ayant pris à part, il me rendit un compte bien triste de l’état de mon pauvre ami. « Le flambeau de la vie, me dit-il, est sur le point de s’éteindre ; il peut jeter encore quelque lueur passagère ; mais on ne peut espérer davantage. » Il s’avança vers le moribond et lui adressa quelques questions auxquelles celui-ci, tout en paraissant reconnaître cette voix bien connue, la voix d’un ami, ne répondit qu’en bégayant et d’une manière vague.

La jeune dame s’était retirée en voyant le docteur s’approcher du malade. « Vous voyez son état, me dit le docteur ; j’ai entendu notre malheureux ami, dans un de ses plus éloquents plaidoyers, peindre cette même maladie qu’il comparait aux tortures inventées par Mézence[1], quand il enchaînait les morts aux vivants. L’ame, disait-il, est enfermée alors dans une prison de chair : elle conserve encore ses facultés naturelles et inaliénables ; mais elle ne peut pas plus les exercer que le captif enfermé dans un cachot ne peut agir librement. Hélas ! qu’il est pénible de voir celui qui savait faire une peinture si énergique de cette maladie dans les autres, être lui-même la victime de cette horrible infirmité ! Jamais je n’oublierai l’expression et le ton solennel dont il dépei-

  1. Mortua quin etiam jungebat corpora vicis.
    Énéid, liv. viii, 485

    Il liait des cadavres à des hommes vivants. a. m.