Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/270

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ser la mode que de les porter… Mais vous avez l’air tout pensif. Qui diable a fait pareille brèche à votre cœur ?

— Pstt ! je suis sûr que vous devez vous en souvenir… Menie… la fille de mon maître.

— Quoi ! miss Green, la fille du vieil apothicaire ?… Une assez jolie fille, je crois.

— Mon maître est chirurgien, et non pharmacien ; d’ailleurs, son nom est Grey.

— Oui, oui, Green ou Grey… qu’importe ? Il vend des drogues de sa fabrique, je crois ; ce que, dans le sud, nous appelons faire l’apothicaire. La fille est assez jolie pour embellir un bal d’Écosse… Mais est-elle propre à quelque chose ? a-t-elle de l’intelligence ?

— Ma foi ! c’est une fille sensée : elle n’a d’autre défaut que de m’aimer, répondit Richard ; et cela, comme dit Bénédick[1] n’est ni une preuve de sagesse, ni un grand indice de folie.

— Mais a-t-elle du feu, de la vivacité ?… A-t-elle un esprit de démon dans le corps ?

— Pas une miette… C’est la plus douce, la plus simple, la plus traitable des créatures humaines, répondit l’amant de Menie.

— Alors elle n’est bonne à rien, » dit le donneur d’avis d’un ton tranchant. « J’en suis fâché, Dick ; mais elle ne fera jamais rien. Il y a certaines femmes dans le monde qui peuvent jouer leur rôle dans la vie agitée que nous menons aux Indes… Oui, et j’en ai connu qui ont poussé des maris qui, sans elles, auraient croupi dans l’ornière jusqu’au jour du jugement. Le ciel sait comment elles soldaient le péage des barrières par où elles les faisaient passer ! Mais ces femmes-là n’étaient point de vos simples Suzannes, qui croient que leurs yeux ne sont bons à rien qu’à regarder leurs maris ou à coudre des langes d’enfant. Soyez-en bien persuadé, il vous faut renoncer à ce mariage, ou à vos projets de fortune. Si vous allez volontairement vous attacher une pierre au cou, ne songez jamais à disputer le prix de la course. Ne supposez pas, d’ailleurs, que votre rupture avec la jeune fille doive amener une terrible catastrophe. Il pourra y avoir une scène d’adieux : mais vous l’aurez bientôt oubliée au milieu des belles du pays, et elle s’éprendra d’amour pour M. Tapeitou, assistant et successeur du ministre. Ce n’est pas une marchandise bonne pour le marché de l’Inde, je vous l’assure. »

  1. Bénédick, personnage morose de la comédie de Shakspeare, intitulée : Much ado about nothing, beaucoup de bruit pour rien. a. m.