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CHAPITRE I.

dis avaient versé les flots d’une éloquence capable de gouverner l’opinion des sages, tous ces tristes symptômes prouvaient que mon ami était tombé dans cette affreuse situation où le principe de la vie animale a survécu à celui de l’intelligence. Il me regarda un moment, mais il parut bientôt ne plus s’apercevoir de ma présence, et continua, lui qui autrefois était le plus poli, le plus courtois des hommes, à balbutier, en termes presque inintelligibles, des reproches violents à sa nièce et à son domestique, parce que lui-même avait laissé tomber une tasse à thé, en essayant de la poser sur une table à côté de lui. Ses yeux s’animèrent momentanément du feu de la colère ; mais vainement il s’efforçait de proférer les mots qui pouvaient la peindre, et, ses regards se fixant alternativement sur sa nièce, sur son domestique et sur la table, il faisait les efforts les plus pénibles pour faire entendre qu’ils avaient placé ce meuble beaucoup trop loin de lui, bien qu’il touchât son fauteuil.

La jeune personne, dont la physionomie avait naturellement cet air de douceur et de résignation que l’on donne aux figures de la Vierge, écoutait ses reproches impatients avec la plus humble soumission : elle réprimanda le domestique qui, ne possédant pas cette extrême délicatesse, avait entrepris de se justifier ; et peu à peu sa voix douce et insinuante parvint à calmer l’irritation sans motif du pauvre malade.

Alors elle jeta sur moi un regard qui sembla me dire : « Vous voyez tout ce qui reste de celui que vous appelez votre ami. » Elle parut me dire aussi : « En demeurant ici plus long-temps, vous ne pourriez qu’augmenter notre affliction.

— Pardonnez-moi, jeune dame, » lui dis-je aussi distinctement que mes larmes purent me le permettre, « j’ai de profondes obligations à votre oncle : mon nom est Croftangry.

— Ah, mon Dieu ! comment ne vous ai-je pas reconnu, monsieur Croftangry ! s’écria le domestique ; oui, oui, je m’en souviens, mon maître eut fort à travailler dans votre affaire. Plus d’une fois il m’a ordonné de lui apporter de nouvelles bougies comme minuit sonnait, et même encore après. Vraiment, il a toujours bien parlé de vous, monsieur Croftangry, quoique les autres aient pu en dire.

— Taisez-vous, John, » dit la jeune dame un peu sévèrement ; et continuant de s’adresser à moi : « Je suis sûre, monsieur, qu’il vous est pénible de voir mon oncle dans ce cruel état. Je sais que vous êtes son ami. Je l’ai entendu souvent prononcer votre nom,