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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

cause, et il fut secondé dans cette affaire par un procureur, homme d’un caractère semblable au sien. Mon ancien homme d’affaires s’était enfoncé jusqu’au menton dans les retranchements de la procédure, dans ses ouvrages à cornes et ses chemins couverts ; mais mes deux défenseurs parvinrent si adroitement à s’emparer de ses positions, que je recouvrai enfin la liberté d’aller ou de rester partout où je le désirerais.

Je quittai mon habitation avec autant de promptitude que si la peste y eût été ; je ne m’arrêtai même pas pour attendre quelque argent qui m’était redû sur le compte que je venais de régler avec mon hôtesse, et je vis la bonne femme arrêtée sur sa porte, me regardant fuir précipitamment et secouant la tête, tandis qu’elle enveloppait dans un morceau de papier l’argent qu’elle devait me rendre, et qu’elle serrait son petit trésor dans une bourse de peau de taupe. C’était une honnête montagnarde que Jeannette Mac Evoy, et elle méritait une meilleure récompense, si j’avais eu le moyen de la lui donner ; mais le sentiment de ma joie était trop vif pour qu’il me fût possible de m’arrêter et d’entrer en explication avec Jeannette. Je passai rapidement au milieu de ce groupe d’enfants dont j’avais si souvent observé les jeux et les folies. D’un saut, je franchis le ruisseau comme s’il eût été le Styx fatal, et moi une ombre qui, fuyant le pouvoir de Pluton, se fût échappée du lac des Limbes. Mon ami eut beaucoup de peine à m’empêcher de courir comme un fou dans la rue, et, en dépit de l’hospitalité qu’il me donna, et de l’amitié dont il me combla pendant un jour ou deux que je restai chez lui, je ne fus tout à fait heureux que quand je me trouvai à bord d’un petit bâtiment de Leith, descendant le cours du Frith par un vent favorable, et faisant claquer mes doigts à mesure que je voyais disparaître de l’horizon la montagne d’Arthur’s Seat, dans le voisinage de laquelle j’avais été si long-temps prisonnier.

Mon dessein n’est pas d’entrer dans les détails des événements successifs de ma vie. J’étais parvenu, ou plutôt mes amis étaient parvenus à me tirer des ronces et des épines des hommes de loi ; mais il m’était arrivé, comme au mouton de la fable, de me laisser manger sur le dos la plus grande partie de ma laine. Une ressource me restait cependant : j’étais dans l’âge de l’activité et du travail ; et, comme ma bonne mère avait coutume de dire : « Il y a toujours de la vie pour le vivant. » La nécessité sévère me donna tout à coup la raison qui jusque-là avait été étrangère à ma jeu-