Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/234

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mère sur le visage de cette enfant, cause innocente et involontaire de sa perte : « Sans sa pauvre fille… » pensait-il ; mais aussitôt, réfléchissant que cette idée était un crime, il serrait l’enfant contre son cœur, et l’accablait de caresses… puis il se hâtait de prier qu’on l’éloignât du salon.

Les mahométans ont une singulière idée : c’est que le vrai croyant, dans son trajet de la terre au paradis, est dans la nécessité de passer pieds nus sur un pont de fer rouge. Mais, en cette occasion, tous les morceaux de papier que le musulman a ramassés durant sa vie, de peur que quelques sentences du Coran qui peuvent s’y trouver écrites ne fussent profanées, se placent entre son pied et le métal brûlant, et le préservent ainsi de tout mal. De même, il arrive parfois que les actions bonnes et charitables adoucissent, même en ce monde, l’amertume des afflictions qui nous accablent.

Ainsi, la plus grande consolation que pouvait trouver le pauvre Grey après la perte douloureuse qu’il avait faite, était dans la folle tendresse de Richard Middlemas, cet enfant qui avait été si singulièrement confiée ses soins. Même à cet âge si tendre, il était éminemment beau. Était-il silencieux ou mécontent, ses yeux noirs et sa physionomie grave présentaient quelque souvenir du caractère sombre imprimé sur les traits de son père ; mais lorsqu’il était gai et heureux, ce qui arrivait le plus souvent, ces nuages faisaient place à l’expression la plus enjouée qu’on vît jamais sur la rieuse et insouciante figure d’un enfant. Il semblait avoir un tact au-dessus de son âge pour découvrir les bizarreries du caractère humain, et pour s’y conformer. Sa nourrice, un des premiers objets du respect de Richard, était pour lui, nourrice Jamieson, ou, comme on l’appelait plus communément par abréviation et par excellence, nourrice. C’était la personne qui l’avait élevé depuis son enfance. Elle avait perdu son propre fils, et bientôt après son mari, et se trouvant ainsi seule, elle était devenue, comme il arrive souvent en Écosse, membre de la famille du docteur Grey. Après la mort de la dame du logis, elle s’était peu à peu emparée de la direction principale du ménage ; et, en sa qualité de gouvernante honnête et capable, elle était dans la maison un personnage de très-grande importance.

Elle avait un caractère décidé, sentait fort vivement, et comme il arrive souvent aux femmes qui nourrissent des enfants étrangers, elle était aussi attachées Richard Middlemas que s’il eût été