Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/213

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Mais il n’avait pas un cœur capable de regretter des travaux qui soulageaient la misère humaine… Bref, il n’y a point d’animal en Écosse qui travaille plus durement, et soit plus pauvrement récompensé qu’un docteur de village… si ce n’est, peut-être, son cheval. Pourtant ce cheval est et doit être robuste, actif, infatigable, quoiqu’il soit mal étrillé et de mauvaise tenue. Eh bien, vous trouverez souvent chez son maître, sous un extérieur grossier et peu prévenant, habileté et enthousiasme pour sa profession, intelligence, humanité, courage et même science.

M. Gédéon Orey, chirurgien du village de Middlemas, situé dans un des comtés du milieu de l’Écosse, menait le genre de vie dur, actif et mal récompensé que nous avons essayé de décrire. C’était un homme âgé de quarante à cinquante ans, dévoué à sa profession, et jouissant d’une renommée telle dans le monde médical, qu’en différentes occasions on lui avait donné le conseil de quitter Middlemas et le cercle étroit de sa clientèle pour s’établir dans une des fortes villes d’Écosse, et même à Édimbourg ; mais il avait toujours rejeté ces offres séduisantes. C’était un homme ouvert et sans façon, qui n’aimait point à se gêner, et se souciait peu de s’assujettir à la contrainte qu’on aurait exigée dans une société plus polie que la sienne. Il n’avait pas découvert lui-même, et jamais ami ne lui avait donné à entendre qu’une légère teinte de cynisme dans les manières et dans les habitudes répand sur un chirurgien, aux yeux du vulgaire, un air d’autorité qui sert grandement à augmenter sa réputation. M. Grey, ou, comme l’appelaient les gens de la campagne, le docteur Grey… et que sais-je ? peut-être possédait-il ce titre par diplôme, quoiqu’il réclamât seulement celui de maître ès arts… M. Grey avait peu de besoins, et il y satisfaisait amplement, grâce au produit de son état qui généralement montait bien à 200 livres sterling par an. Pour gagner cette somme, d’après son propre calcul, il parcourait cinq mille milles à cheval dans le cours de douze mois. Ce revenu l’entretenait dans l’abondance lui et ses deux bidets, nommés par lui Pilon et Mortier, qu’il montait alternativement. En conséquence, il prit une femme pour partager son aisance, Jane Watson, aux joues rouges comme des cerises, fille d’un honnête fermier, et qui, faisant partie de douze enfants que son père avait élevés avec un revenu annuel de 88 livres, ne s’imagina point qu’on pût connaître la pauvreté avec le double de cette somme, et regarda Grey comme un parti fort avantageux, bien que la jeu-