Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/212

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du tout. Il n’a aucune de ces immenses ressources dont jouissent ses confrères dans une ville d’Angleterre. Les habitants d’un bourg écossais sont forcément inaccessibles à la goutte, aux indigestions et à toutes ces maladies chroniques qui accompagnent la richesse et l’indolence. Quatre années ou environ de frugalité les rendent capables de résister à un dîner d’élection ; et il n’y a point à espérer que deux ou trois douzaines d’électeurs qui arrangent paisiblement leurs affaires à table, produisent quelques têtes cassées. Là, les mères ne se font pas un principe de faire passer, dans le cours de chaque année, une certaine quantité de drogues dans les entrailles de leurs chers enfants. Chaque vieille femme, d’un bout à l’autre du village, sait prescrire une dose de seltz, ou préparer un emplâtre ; et c’est seulement lorsqu’une fièvre ou une paralysie rend la chose sérieuse, que l’assistance du docteur est invoquée par ses voisins.

Pourtant l’homme de l’art ne peut se plaindre d’inactivité ni du manque de pratiques. S’il ne trouve pas de patients à sa porte, il en cherche partout dans un cercle plus étendu. Comme le fantôme amant de Lénore, il monte à cheval à minuit, et traverse, dans l’obscurité, des chemins qui, à des gens moins habitués, paraîtraient redoutables en plein jour : il parcourt des défilés, où la plus légère déviation le plongerait dans un marais ou le précipiterait dans des fondrières ; enfin, il se dirige vers des cabanes que son cheval pourrait franchir au galop, sans savoir qu’elles se trouvent sur son chemin, à moins qu’il ne lui arrivât d’enfoncer la toiture. Lorsqu’il finit par atteindre le but difficile de son voyage, l’endroit où sont réclamés ses services pour amener un misérable au monde, ou empêcher un autre d’en sortir, le spectacle de détresse est souvent tel, que, loin de toucher aux shillings amassés avec peine pour lui être offerts par reconnaissance, il prodigue ses remèdes aussi bien que ses soins par pure charité. J’ai entendu le célèbre voyageur Mungo Park, qui avait l’expérience de ces deux genres de vie, dire qu’il aimait mieux tenter les périlleuses découvertes à travers les déserts de l’Afrique, que d’errer nuit et jour dans les cantons à demi sauvages de sa terre natale, en qualité de médecin de campagne. Il racontait qu’une fois il avait parcouru quarante milles à cheval, veillé toute la nuit, et secouru avec succès une femme qui éprouvait l’influence de la malédiction originelle, et qu’on lui avait donné pour toute récompense une pomme de terre cuite sous la cendre et une jatte de lait caillé.