Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/208

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— Absurdité ! mon cher ami. Vous nous en direz des choses d’autant plus belles que vous ne saurez rien de ce que vous direz. Mais, voyons ; il faut achever la bouteille, et quand Katie, dont les sœurs vont à l’assemblée, nous aura servi le thé, elle vous contera en abrégé l’histoire de la pauvre Menie Grey, dont vous verrez le portrait dans le salon : c’était une parente éloignée de mon père, qui eut pourtant une jolie part de la succession de la cousine Menie. Il n’y a plus âme vivante à qui cette histoire puisse faire tort, quoique, dans le temps, on ait jugé convenable de l’étouffer, et que les commérages qu’on fit à ce sujet aient forcé la pauvre cousine à vivre fort retirée. Je me rappelle l’avoir vue quand j’étais enfant. Il y avait quelque chose de bien doux, mais aussi de fort ennuyeux dans la pauvre cousine Menie. »

Lorsque nous passâmes dans le salon, mon ami me désigna un portrait que j’avais déjà vu, mais sur lequel je n’avais jeté qu’un coup d’œil en passant. Je l’examinai alors avec plus d’attention. C’était une de ces peintures du milieu du dix-huitième siècle, où les artistes cherchaient à triompher de la roideur des paniers et des étoffes de brocart, en jetant autour de la figure une draperie de fantaisie, dont les larges plis ressemblaient à ceux d’un manteau ou d’une robe de chambre. Les baleines étaient néanmoins conservées, et le sein découvert d’une manière qui montrait que nos mères, comme leurs filles, étaient aussi libérales de la vue de leurs charmes que le permettait la nature de leurs vêtements. Le style bien connu de l’époque, les traits et l’ensemble de la personne excitaient, à la première vue, peu d’intérêt. C’était une belle femme d’environ trente ans : ses cheveux étaient simplement relevés autour de la tête, ses traits réguliers, et son teint d’une grande blancheur. Mais, en regardant de plus près, moi surtout, qui savais vaguement que l’original avait été l’héroïne d’une histoire, je dus observer dans sa physionomie une douceur mélancolique qui semblait annoncer des malheurs soufferts et des injustices endurées avec cette résignation que les femmes peuvent opposer, et opposent souvent aux insultes et à l’ingratitude des hommes à qui elles ont donné toutes leurs affections.

« Oui, ce fut une excellente femme, et une femme bien indignement traitée, » dit M. Fairscribe, tenant ses yeux fixés, comme les miens, sur le portrait… « Elle n’a pas laissé à notre famille, j’ose le dire, moins de cinq mille livres sterling ; et je crois qu’à sa mort elle possédait bien quatre fois cette somme ; mais son bien