Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/203

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volonté, et j’avais souvent observé que l’idée de refuser un pareil arbitrage, par conscience de sa propre incapacité, est, comme il faut peut-être que cela soit, la dernière qui se présente à l’esprit de l’homme auquel on s’en réfère. L’homme au jugement de qui une œuvre littéraire est soumise par l’auteur s’adonne aussitôt tout entier à la critique, quoique ce soit un sujet sur lequel il n’a peut-être jamais réfléchi. Nul doute que l’auteur ne soit bien capable de choisir son propre juge : pourquoi donc l’arbitre douterait-il de son propre talent pour condamner ou absoudre, lui qui a été sans hésitation désigné par son ami, lui dont cet ami lui-même a reconnu la compétence ? À coup sûr, l’homme qui écrit un livre doit bien connaître la personne la plus capable de le juger.

Tandis que ces idées me passaient par la tête, je tenais mes yeux fixés sur mon ami, dont les mouvements me paraissaient extraordinairement lents. Il avait demandé une bouteille d’un vin particulier ; il la transvasait de sa propre main avec une scrupuleuse précaution ; il ordonnait à son vieux domestique de servir une assiette d’olives avec du pain grillé, et ainsi occupé de pensées hospitalières, il semblait ajourner la discussion que je brûlais d’ouvrir, mais que pourtant je craignais de précipiter.

Il n’est pas satisfait, pensais-je, et n’ose pas me le témoigner, de peur de blesser mes affections d’auteur. Qu’avais-je besoin, aussi, de lui parler d’autre chose que de titres et de saisines ?… Attendons, le voilà qui commence.

« Nous sommes de vieilles gens maintenant, M. Croftangry, dit mon hôte, à peine aussi capables de vider à nous deux une pauvre chopine de vin, que nous ne l’aurions été dans des jours meilleurs, d’en boire une pinte, dans la vieille et libérale acception du mot écossais. Peut-être eussiez-vous mieux aimé que je gardasse James pour nous aider. Mais, sauf les dimanches et fêtes, je crois qu’il vaut mieux ne pas lui faire manquer ses heures de travail. »

La conversation allait tomber. Je la soutins en disant que M. James en était à cet âge heureux de la vie où l’on a mieux à faire que de s’asseoir devant une bouteille. « Je suppose, ajoutai-je, que votre fils aime la lecture.

— Hum !… oui… James peut, dans un sens, mériter cet éloge ; mais je crains qu’il n’y ait peu de solidité dans ses études… Poésies et pièces de théâtres, M. Croftangry, niaiseries que tout