Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/202

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l’entouraient, pour y être à loisir converties en chyle, tandis que leurs pensées s’occuperaient de matières plus élevées. Enfin, tout se termina. Mais nos jeunes miss restèrent encore à table et parlèrent de la musique du Freischütz[1], car on ne pensait alors à rien autre chose dans toute la ville. Nous discutâmes donc sur la chanson du chasseur sauvage, et sur celle du chasseur civilisé, etc., etc., tous sujets que mes jeunes amies possédaient à merveille. Heureusement pour moi, ce charivari de cors et de cris de chasse amena une allusion au 7e de hussards ; et ce brave régiment, à ce que je vois, est un sujet de conversation plus attrayant pour miss Catherine et son frère que pour mon vieil ami ; car M. Fairscribe, regardant alors à sa montre, dit certains mots significatifs à M. James sur l’heure du travail. Celui-ci se leva avec l’aisance d’un jeune homme qui voudrait paraître plutôt homme du monde qu’homme d’affaires, et tâcha, non sans y réussir tout à fait, de sortir de l’appartement, comme si cette retraite était absolument volontaire : miss Catherine et ses sœurs nous quittèrent en même temps, et maintenant, pensai-je, me voici au grand moment.

Lecteurs, avez-vous jamais, dans le cours de votre vie, joué, aux cours de justice et aux avocats, le tour de consentir à laisser une question douteuse et importante à la décision d’un ami ? En ce cas, vous pouvez avoir remarqué le changement que subit l’arbitre à vos propres yeux, lorsqu’il devient, quoique par votre choix libre, d’une connaissance ordinaire qu’il était, et dont les opinions vous importaient aussi peu à vous que les vôtres à lui, un personnage supérieur, à la décision duquel est remis votre sort pro tanto, comme disait mon ami M. Fairscribe. Ses regards prennent un air mystérieux, sinon menaçant ; son chapeau a l’air plus grave, et les boucles de sa perruque, s’il en porte une, deviennent plus formidables.

Je trouvai donc que mon bon ami Fairscribe, en la présente occasion, avait acquis un pareil accroissement d’importance. Une semaine auparavant, c’eût été dans mon opinion un homme rempli sans doute d’excellentes intentions et d’une compétence parfaite pour tout ce qui concernait sa profession, mais en même temps enterré dans ses formes et ses termes techniques, et aussi incapable de porter un jugement en matière de goût qu’aucun des puissants Goths qui firent partie de l’ancien sénat d’Écosse. Mais qu’importe ? Je l’avais constitué mon juge, de ma propre

  1. Robin des bois. a. m.