Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/191

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— N’importe, la mort paie toutes les dettes ; elle paiera celle-ci également.

L’horreur qu’éprouvaient les assistants commença bientôt à se changer en indignation ; la vue d’un compagnon chéri assassiné au milieu d’eux, quand la provocation avait été, d’après leur opinion, si étrangement disproportionnée à la vengeance, les eût portés à tuer le meurtrier sur le lieu même. Le constable pourtant fit son devoir dans cette circonstance, et avec l’aide de quelques-uns des spectateurs les plus raisonnables, il fit venir des gardes à cheval pour veiller sur le prisonnier, et le conduire à Carliste, afin d’y être jugé aux prochaines assises. Pendant que l’escorte se préparait, le prisonnier montrait la plus complète indifférence ; il n’essaya pas même de faire la plus légère réponse. Seulement, avant d’être emmené du fatal appartement, il désira voir ce cadavre qu’on avait relevé et placé sur une large table, au bout de laquelle Harry Wakefield était assis quelques minutes auparavant plein de vie, de vigueur et de gaieté. Jusqu’au moment où les chirurgiens arrivèrent pour examiner le coup mortel, on avait, par décence, couvert d’une serviette la figure de Harry. À la surprise et à l’horreur générales qui se manifestèrent par une exclamation, Robin Oig, les dents serrées et les lèvres à demi fermées, repoussa le voile, et contempla d’un regard triste, mais assuré, ce visage sans vie, qui, tout à l’heure encore animé, exprimait le sourire et la bonne humeur, en même temps que la confiance dans sa force, et même le mépris de son ennemi qui semblait encore tracé sur ses lèvres livides. Tandis que les assistants s’attendaient à voir la blessure toute fraîche se rouvrir et remplir la chambre de sang, Robin Oig replaça le linge en s’écriant : « C’était un bel homme. »

Mon récit est presque achevé. L’infortuné montagnard fut jugé à Carliste. Je fus moi-même présent aux débats, et en ma qualité de membre du barreau écossais, ou du moins d’homme d’un certain rang, je fus invité par le shériff du Cumberland à occuper un siège dans la salle du tribunal. Les faits du procès criminel furent prouvés de la manière que je viens de rapporter. Quels que pussent être les préjugés de l’audience contre un crime aussi peu britannique qu’un assassinat par vengeance, cependant, lorsque les préjugés du prisonnier eurent été eux-mêmes expliqués, on demeura convaincu qu’il se regardait comme souillé d’un déshonneur ineffaçable, pour avoir essuyé une violence personnelle. De