Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/187

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les de ma tante ! quand sont-elles jamais tombées à terre ! » Et le souvenir de la fatale prophétie le confirma dans le projet de meurtre que son esprit venait tout à coup de concevoir.

« Oh ! Morrison ne peut être à une grande distance. Et d’ailleurs, quand il serait à cent milles, qu’importe ? »

Dès lors son caractère impétueux tourna toutes ses idées vers un but fixe, vers un motif d’action : aussi se dirigea-t-il avec la rapidité ordinaire dans son pays, vers les plaines à travers lesquelles M. Ireby lui avait dit que Morrison s’avançait. Son esprit tout entier était absorbé par cette pensée qu’il avait reçu une injure… et cette injure, d’un ami ; et par le désir de se venger de celui qu’il regardait maintenant comme son plus cruel ennemi. Cette bonne opinion qu’a un homme de lui-même, cette importance qu’il se donne, enfin toutes ces idées imaginaires de naissance et de qualité étaient devenues pour lui d’un bien plus grand prix, parce que, de même que l’avare à l’égard de son trésor, il ne pouvait en jouir qu’en secret. Mais ce trésor, il avait été pillé ; ces idoles, qu’il adorait secrètement, avaient été profanées et souillées ! Insulté, bafoué et battu, il n’était plus digne, dans sa propre opinion, du nom qu’il portait, ni de la famille à laquelle il appartenait : rien ne lui avait été laissé, rien que la vengeance. Et comme ses réflexions acquéraient un nouveau degré d’amertume à mesure qu’il avançait, il jura que cette vengeance serait aussi soudaine et aussi signalée que l’offense.

Quand Robin Oig quitta le cabaret, il y avait au moins entre Morrison et lui une distance de sept à huit milles anglais. Le premier allait très-lentement, étant obligé de régler son pas sur la marche lente de son troupeau ; le second, qui marchait à raison de six milles à l’heure, laissait bien loin derrière lui les champs couverts de chaume, les haies dont ils sont entourés, les terrains couverts de rochers, et les tristes bruyères qui brillaient de l’éclat d’une gelée blanche sous les rayons d’une pleine lune de novembre. Bientôt il entend le lointain mugissement des bestiaux de Morrison ; bientôt il les voit, pas plus gros que des taupes, s’avancer lentement sur la vaste étendue d’une plaine marécageuse ; enfin il les atteint, il les dépasse, il arrête leur conducteur.

« Dieu nous protège, » dit l’habitant des contrées du sud… « Est-ce vous, Robin Mac Combich, ou votre ombre que je vois [1] ?

  1. Wraith, dit le texte ; l’esprit ou l’ombre d’une personne qui apparaît pendant qu’elle vit encore, comme pour annoncer sa fin prochaine. a. m.