Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/163

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mort, je ne puis lui en rien dire. On suppose qu’elle arriva quelques années après le jour où elle attira l’attention de mon excellente amie mistress Béthune Baliol. Sa bienveillance qui ne se contentait pas de verser une larme stérile lorsqu’il y avait lieu d’exercer une charité réelle, lui fit faire plusieurs tentatives pour adoucir la situation de cette misérable femme. Mais tous ses efforts ne parvinrent qu’à faire accepter à Elspat des moyens d’existence moins précaires, considération tout à fait indifférente pour elle, bien qu’elle soit importante pour les êtres même les plus malheureux. Ce fut inutilement qu’on essaya de placer quelqu’un dans sa cabane pour prendre soin de sa personne ; l’aversion avec laquelle elle regardait quiconque osait s’introduire dans sa solitude, et la terreur secrète qu’elle inspirait à ceux que l’on choisissait pour habiter avec la redoutable Femme de l’Arbre, furent des obstacles insurmontables. Lorsqu’enfin Elspat fut devenue incapable, du moins en apparence, de se retourner sur le misérable grabat qui lui servait de lit, le successeur de M. Tyrie, homme aussi charitable que son devancier, envoya deux femmes pour prendre soin d’elle à ses derniers moments, qui ne pouvaient être éloignés, à ce qu’on présumait, et pour l’empêcher de mourir, faute de secours ou de nourriture, avant le jour où elle devait succomber naturellement à la vieillesse ou à la maladie.

Ce fut un soir du mois de novembre que les deux femmes chargées de cette triste mission arrivèrent à la cabane d’Elspat. L’infortunée, étendue sur son grabat, ne paraissait déjà plus qu’un corps sans vie ; ses yeux seuls roulaient dans leurs orbites d’une manière effrayante. Ils lancèrent des regards sombres et ardents, et parurent observer avec surprise et indignation la présence des deux étrangères. Celles-ci furent effrayées d’abord de ses regards ; mais, rassurées bientôt par la compagnie l’une de l’autre, elles ranimèrent le feu, allumèrent une chandelle, préparèrent de la nourriture, et firent enfin tous les arrangements pour s’acquitter des devoirs qui leur étaient prescrits.

Elles convinrent ensemble de veiller chacune à leur tour près du lit de la malade. Mais vers minuit, vaincues par la fatigue du voyage (car elles venaient d’assez loin), toutes deux s’endormirent d’un profond sommeil. Lorsqu’elles s’éveillèrent, ce qui ne fut qu’au bout de quelques heures, la malade avait disparu, et la cabane était vide. Frappées d’épouvante, elles coururent à la porte qui était fermée au loquet comme si personne ne l’avait ouverte.