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dans un grand fauteuil, lui dit : « Posez ce plateau devant moi. »

Le marchand laissa alors retomber ses sourcils noirs sur ses yeux vifs et perçants, de telle sorte qu’à peine étaient-ils visibles ; seulement, de temps à autre, il s’en échappait un rayon rapide et brillant comme ceux du soleil qui se couche derrière un sombre nuage, à travers lequel il scintille par intervalles.

— « C’est une charmante créature, » dit enfin le vieillard en levant la tête, et jetant un regard ferme et pénétrant sur Quentin tout en lui adressant ces paroles ; « une aimable fille, pour une servante d’auberge, n’est-ce pas ? Elle figurerait bien à la table d’un honnête bourgeois ; mais cela est mal élevé, cela est de basse origine. »

Il arrive quelquefois qu’un mot jeté au hasard démolit un brillant château bâti sur les nuages ; et, en pareille circonstance, l’architecte sait peu de gré à celui qui a porté le coup fatal, quoiqu’il n’ait pas eu la moindre intention de l’offenser ou de lui nuire. Quentin fut déconcerté, et se sentait disposé à se mettre en colère (sans trop pouvoir se rendre compte du motif) contre ce vieillard, pour l’avoir instruit que cette charmante créature n’était ni plus ni moins que ce que ses occupations annonçaient, une servante d’un ordre supérieur, à la vérité, probablement une nièce de l’aubergiste, ou quelque parente à un degré plus éloigné, mais une servante enfin, obligée de se conformer à l’humeur des habitués de la maison, et particulièrement à celle de maître Pierre, qui probablement avait assez de caprices, et assez de richesse pour exiger qu’ils fussent satisfaits.

Une pensée qui ne cessait de se présenter à son esprit, c’était qu’il devait faire comprendre au vieillard la différence qui existait entre leurs conditions, et lui faire remarquer que, quelque riche qu’il fût, sa richesse ne pouvait le mettre sur le pied de l’égalité avec un Durward de Glen-Houlakin. Cependant, quand il portait la vue sur maître Pierre, il découvrait en lui, malgré ses regards baissés, ses traits amaigris, et ses vêtements qui annonçaient la bassesse et l’avarice, quelque chose qui l’empêchait de mettre à exécution son dessein de faire sentir au marchand la supériorité qu’il se figurait avoir sur lui. Au contraire, plus Quentin le regardait avec attention, plus il sentait redoubler sa curiosité de savoir quel était cet homme et quel était son rang, et alors il se persuadait intérieurement avoir affaire au moins à un syndic, ou à un membre de la haute magistrature de la ville de Tours ; en un mot,