Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/67

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que d’être enfermé dans une cage, ou dans ces nids d’hirondelles que l’on voit d’ici, comme vous appelez ces poivrières. D’ailleurs, » ajouta-t-il en baissant la voix, « je n’aime point le château dont l’arbre qui lui prête son ombrage porte des fruits pareils à celui que je vois là-bas ? — Je devine ce que vous voulez dire ; mais expliquez-vous plus clairement ? — Que je m’explique plus clairement ! Jetez les yeux sur ce beau chêne qui est à quelques portées de flèche du château ; vous y verrez pendu un homme en jaquette grise pareille à celle que je porte. — En vérité ! voyez ce que c’est que d’avoir de jeunes yeux ! J’apercevais bien quelque chose, mais je croyais que c’était un corbeau perché sur une branche. Toutefois ce spectacle n’a rien d’étrange, mon brave jeune homme ; lorsque l’été fera place à l’automne, qu’il y aura de longs clairs de lune, et que les routes deviendront peu sûres, vous verrez des groupes de dix, de vingt de ces glands accrochés à ce vieux chêne à demi mort. Mais qu’importe ? ce sont autant d’épouvantails pour les brigands ; et pour chaque coquin ainsi pendu, on compte un brigand, un traître, un voleur de grand chemin, un pillard ou un oppresseur de moins en France. Voilà ; jeune homme, des signes auxquels vous devez reconnaître la justice de notre souverain. — Du moins, si j’étais le roi Louis, je les ferais pendre plus loin de mon palais. Dans mon pays nous suspendons des corbeaux morts dans les lieux fréquentés par les corbeaux vivants, mais non pas dans nos jardins ou dans nos pigeonniers. L’odeur de ce cadavre ! pouah !… elle est venue jusqu’à moi, quoique nous en soyons éloignés. — Si vous vivez assez long-temps pour devenir un bon et loyal serviteur de votre prince, mon bon jeune homme, vous saurez qu’il n’y a pas de parfum qui égale l’odeur d’un traître mort[1]. — Je ne désirerais jamais vivre assez long-temps pour perdre l’odorat ou la vue. Montrez-moi un traître vivant, et voilà mon bras et mon épée ; mais quand la vie lui est arrachée, ma haine ne pourrait lui survivre. Mais voici, je pense, que nous arrivons au village, où j’espère vous faire voir que ni le bain que j’ai pris ce matin, ni le dégoût que je viens d’éprouver, n’ont diminué en rien mon appétit. Ainsi, mon bon ami, à l’hôtellerie aussi vite que vous le pourrez. Cependant, avant que j’accepte votre invitation, dites-moi de quel nom je

  1. Ce mot de Louis XI n’est pas nouveau. Un des généraux de l’empereur Vitellius lui conseillant de faire enterrer les morts après une victoire ; « Non, non, répondit-il, le corps d’un ennemi mort sent toujours bon. » On l’attribue aussi à Charles IX, allant voir à Montfaucon le cadavre de l’amiral Coligni. a. m.