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menaient sur le bord opposé de la petite rivière, c’est-à-dire du côté où étaient situés le parc et le château ; au moment où il descendait la rive escarpée avec la légèreté d’un daim qui vient s’abreuver à une fontaine, le moins âgé des deux dit à l’autre : « C’est notre homme… c’est le Bohémien… S’il tente de passer le gué, c’est un homme perdu ; les eaux sont grosses et la rivière n’est pas guéable.

— Qu’il fasse cette découverte lui-même, compère, lui répondit son compagnon ; il est possible que cela épargne une corde et fasse mentir un proverbe. — Je juge que c’est lui, d’après sa toque bleue, reprit le premier ; car je ne puis distinguer sa figure. Écoutez ; il appelle ; il nous demande si l’eau est profonde. — Qu’il essaye ; dans ce monde il n’y a rien de tel que l’expérience. »

Cependant le jeune homme ne recevant aucune réponse, et prenant le silence de ceux à qui il s’était adressé pour un encouragement à suivre son dessein, entra dans le courant sans hésiter et sans autre délai que le temps nécessaire pour ôter ses brodequins. Le plus âgé de ces deux hommes lui cria alors de prendre garde à lui ; et s’adressant à son compagnon : « Par la mort-dieu ! compère, » ajouta-t-il d’un ton plus bas, « vous avez fait encore une méprise ; ce n’est pas là le bavard de Bohémien. »

Mais l’avis donné au jeune homme arriva trop tard ; ou il ne l’entendit pas, ou il ne put en profiter, car il se trouvait déjà dans l’endroit le plus profond. Pour quelqu’un de moins alerte et de moins habitué à nager, la mort eût été inévitable, le ruisseau étant profond et très-rapide.

« Par sainte Anne ! c’est un jeune homme qui mérite qu’on s’intéresse à lui, s’écria le même personnage ; courez, compère, et réparez votre méprise en lui portant secours, si vous le pouvez. Il appartient à votre troupe ; et si le vieux dicton est vrai, l’eau ne le noiera point. »

En effet, le jeune Écossais fendait l’eau avec une telle vigueur et une telle adresse que, malgré la force du courant, il atteignit le rivage presque vis-à-vis le point d’où il était parti.

Pendant ce temps, le moins âgé des deux inconnus avait couru en toute hâte vers le bord de l’eau pour donner du secours au jeune étranger, tandis que l’autre le suivait d’un pas plus grave, se disant à lui-même : « Sur mon âme ! le voilà à terre ; il saisit son épieu : si je n’arrive promptement, il va battre mon compère pour la seule bonne action que je l’aie vu faire de sa vie. »