qu’à la place du marché, et là, qu’on le déchire avec des fouets et des lanières jusqu’à ce que son tabard tombe en lambeaux !… Sus au Sanglier-Rouge ! çà, çà ! tayaut ! tayaut ! »
Quatre ou cinq chiens de première taille, semblables à ceux qu’on voit dans les parties de chasse peintes par Rubens et Schneiders, entendirent les derniers mots prononcés par le duc, et, à ces mots bien connus d’eux, ils se mirent à aboyer et à hurler comme si un sanglier venait de s’élancer de sa bauge.
« Par la croix de Notre Seigneur ! » dit le roi Louis cherchant à entrer dans la disposition d’esprit de son dangereux cousin, « puisque l’âne s’est affublé de la peau du sanglier, je lancerais les chiens sur lui pour qu’ils la lui arrachent ! — C’est cela ! c’est cela ! » s’écria le duc Charles, avec l’humeur duquel cette idée se trouvait en parfaite harmonie : « cela va être fait. Qu’on découple les chiens ! Sus ! sus ! Talbeau ! Beaumont ! Nous le courrons depuis la sortie du château jusqu’à la porte de l’est. — J’espère que Votre Grâce me traitera en bête de chasse, » dit le malheureux héraut faisant aussi bonne contenance que possible, « et que vous me permettrez de prendre du champ. — Tu n’es qu’une vermine[1], répondit le duc, et, d’après le code des chasses, tu n’as droit à aucune protection ; néanmoins, en faveur de ton impudence sans égale, tu auras environ cent pas d’avance. Allons, messieurs, allons : voyons un peu ce divertissement. »
À ces mots, l’assemblée se leva tumultueusement, chacun se montrant très-empressé, mais personne plus que les deux princes, de jouir du doux passe-temps dont le roi Louis avait suggéré l’idée.
Le plaisir qu’ils se promettaient fut complet, car Sanglier-Rouge, à qui la terreur donnait des ailes, et qui avait à ses trousses une dizaine de chiens courants excités par les sons du cor et les cris des piqueurs, courut comme porté par le vent ; et s’il n’avait point été embarrassé par ses vêtements de héraut, le plus mauvais costume possible pour un coureur, il aurait pu échapper à la meute ; il la dérouta même une ou deux fois, avec une adresse et une légèreté qui lui attirèrent les applaudissements des spectateurs. Mais aucun de ceux-ci, pas même le duc Charles, ne prenait à cette chasse autant de plaisir que le roi Louis, qui, mu par des considérations politiques, tout autant que par le plaisir
- ↑ En termes de vénerie, ce mot s’applique à toutes les bêtes qui ne méritent pas d’être chassées selon les nobles règles de l’art : tels sont les blaireaux, les fouines, etc., etc.