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la salle, puis, enveloppés de leurs manteaux, s’étaient assis sur le plancher dans diverses attitudes qui exprimaient le trouble et l’abattement de leur esprit. Olivier et Tristan ne virent rien de mieux à faire que de suivre leur exemple ; et comme ils n’avaient jamais été très-grands amis dans les jours de leur prospérité, ils n’éprouvaient ni l’un ni l’autre le besoin de se parler avec confiance dans cet étrange et soudain revers de fortune. Toute la compagnie resta donc plongée dans un muet abattement.

Cependant leur maître, dans sa retraite silencieuse, était en proie à des angoisses capables de servir d’expiation à quelques-unes de celles qu’il avait fait endurer à d’autres. Il parcourait sa chambre à pas précipités et inégaux, s’arrêtait tout à coup en joignant les mains ; en un mot, il s’abandonnait à toute l’agitation qu’il savait si bien réprimer en public. Enfin, s’arrêtant devant la petite porte que lui avait indiquée le vieux Mornay comme conduisant sur le théâtre du meurtre d’un de ses prédécesseurs, il se tordit les mains, et donna un libre cours aux sentiments qui l’agitaient, dans un monologue souvent interrompu.

« Charles le Simple !… Charles le Simple ! Quel surnom la postérité donnera-t-elle à Louis XI, dont probablement le sang rafraîchira bientôt les taches du tien ? Louis le Sot… Louis le Niais… Louis l’Infatué… Ce sont des épithètes trop douces pour exprimer mon extrême imbécillité ! Avoir pu penser que ces têtes chaudes de Liégeois, pour qui la révolte est un besoin aussi naturel que celui de remplir leurs estomacs, resteraient en repos ! Me figurer que le féroce Sanglier des Ardennes interromprait un instant sa carrière de violence et de sanguinaire férocité ! M’imaginer que je pourrais employer avec quelque avantage le langage de la raison et du bon sens vis-à-vis de Charles de Bourgogne, avant d’avoir essayé la force de mes exhortations sur un taureau sauvage ! Sot, double sot que j’étais ! Mais ce scélérat de Martius ne m’échappera pas. Il a été un des principaux leviers dans cette affaire… Et ce maudit prêtre, ce détestable la Balue, n’y a-t-il pas aussi joué son rôle ? Si jamais je puis me tirer de ce danger, je lui arracherai son chapeau de cardinal, dussé-je lui enlever en même temps la peau de la tête. Mais l’autre traître est entre mes mains… je suis encore assez roi… j’ai encore un empire assez étendu pour châtier ce vendeur d’orviétan, ce marchand de paroles, ce contemplateur d’étoiles, ce fabricant de mensonges, cet imposteur, qui a fait de moi tout à la fois un prisonnier et une