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loir conjurer cette étrange frénésie, et il continua à le regarder avec ce calme que l’on remarque dans les yeux d’un homme brave qui observe les gestes menaçants d’un aliéné, et qui sait que sa fermeté, son sang-froid, sont un frein capable de réprimer son délire.

Au commandement du roi, Crawford remit son épée à Crèvecœur en lui disant : « Prenez-la, et que le diable vous en donne une grande joie ! je ne vois pas de déshonneur à vous la rendre, car nous n’avons pas eu la liberté du choix. — Un instant, messieurs ! » s’écria le duc d’une voix entrecoupée, comme un homme à qui la colère a presque ôté le pouvoir de s’exprimer ; « gardez vos épées ; il me suffit que vous donniez votre parole de ne pas vous en servir. Quant à vous, Louis de Valois, vous êtes mon prisonnier jusqu’à ce que vous vous soyez lavé du soupçon d’avoir trempé dans un meurtre et dans un sacrilège. Qu’on le mène à la tour du comte Herbert, qu’il ait avec lui six hommes de sa suite et à son choix. Lord Crawford, il faut que votre garde se retire du château ; on lui donnera ailleurs un logement convenable. Qu’on lève tous les pont-levis, qu’on baisse toutes les herses, qu’on triple la garde à toutes les portes de la ville, qu’on ramène le pont de bateaux sur la rive droite de la rivière ; que ma troupe de Noirs-Wallons entoure le château, et que l’on triple le nombre des sentinelles à tous les postes. D’Hymbercourt, vous ferez faire des patrouilles à pied et à cheval autour de la ville, de demi-heure en demi-heure, pendant la nuit, et d’heure en heure durant le jour, si toutefois cette mesure est encore nécessaire après le lever du soleil, car il est probable que nous irons vite en besogne. Ayez l’œil sur la personne de Louis ; vous en répondez sur la vie. »

Il se leva de table avec une précipitation qui montrait encore la violence de la colère qui l’animait, lança au roi un regard où se peignait une inimitié mortelle, et sortit brusquement de la salle du banquet.

— « Messieurs, » dit le roi en regardant autour de lui d’un air de dignité, « le chagrin de la mort de son allié a plongé votre prince dans un état voisin de la frénésie. Je me flatte que vous connaissez trop bien votre devoir comme chevaliers et comme gentilshommes, pour le soutenir dans un acte de trahison ou de violence contre la personne de son seigneur suzerain. »

En ce moment on entendit dans les rues le son des tam-