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en état d’offrir à un étranger une sorte d’hospitalité qui lui semble agréable. Croyez-moi, ce n’est pas entièrement par orgueil que nous autres, pauvres revenants, nous menons une vie si retirée et négligeons les devoirs de l’hospitalité. Il est vrai qu’il n’y en a que trop parmi nous qui errent dans les châteaux de leurs pères, et que l’on prendrait plutôt pour les esprits de leurs propriétaires décédés, que pour des hommes vivants rétablis dans leurs possessions. Cependant c’est par rapport à eux-mêmes, plutôt que pour épargner une subtilité que nous ne cultivons point la société des voyageurs de votre pays. Nous avons dans l’idée que votre opulente nation tient particulièrement au faste et à la bonne chère, que vous aimez vos aises et recherchez les jouissances de tout genre : or les moyens qui nous restent pour vous faire un bon accueil sont généralement si limités, que nous sentons le besoin de nous interdire toute sorte de dépense et d’ostentation. Personne n’éprouve le besoin d’offrir ce qu’il a de mieux, lorsqu’il a raison de penser que ce mieux ne fera pas plaisir ; et comme plusieurs d’entre vous publient le journal de leurs voyages, monsieur le marquis n’aurait probablement pas beaucoup de raison d’être satisfait en voyant le pauvre dîner qu’il a pu donner à un milord anglais mentionné dans une relation qui doit être un monument durable. »

J’interrompis le marquis pour l’assurer que, si j’avais l’intention de publier le récit de mon voyage, ce ne serait que pour perpétuer le souvenir du meilleur dîner que j’eusse fait de ma vie. Il me remercia par une inclination de tête, et me dit qu’il fallait ou que je ne partageasse pas entièrement le goût national, ou bien que ce que l’on en disait fût très-exagéré ; il me remerciait particulièrement de lui avoir montré la valeur des possessions qui lui restaient ; l’utile avait sans doute survécu au somptueux, à Haut-Lieu comme ailleurs ; les grottes, les statues, les serres pour les plantes exotiques et curieuses, le temple et la tour, avaient disparu ; mais la vigne, le potager, le verger, l’étang, existaient encore, et il s’estimait heureux de voir que leurs produits réunis avaient pu composer un repas qui avait paru passable, même à un Anglais. « J’espère seulement, ajouta-t-il, que vous voudrez bien me convaincre de la sincérité de vos compliments en acceptant l’hospitalité au château de Haut-Lieu aussi souvent que vous ne serez pas retenu par des engagements plus agréables, durant votre séjour dans notre voisinage. » Je promis bien volontiers de profiter d’une invitation