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lativement aux routes et à d’autres sujets, avec tant de précision et de présence d’esprit, que cette bonne fille ne put s’empêcher de s’écrier : « Vous m’étonnez, madame ; j’ai entendu parler de femmes douées d’une mâle fermeté, mais il me semble que la vôtre est au-dessus des forces de l’humanité. — La nécessité, répondit la comtesse, la nécessité, mon amie, est mère du courage aussi bien que de l’industrie. Il n’y a pas long-temps encore, je me trouvais mal en voyant une goutte de sang sortir d’une légère piqûre. Hier j’en ai vu, pour ainsi dire, couler des flots autour de moi, et cependant je ne me suis pas évanouie et j’ai conservé toute ma présence d’esprit. Ne croyez pas que cette tâche ait été facile, » ajouta-t-elle en posant sur le bras de Gertrude une main tremblante, quoique sa voix fût pleine de fermeté ; « ma force intérieure est comme une garnison assiégée à tout moment et de tous côtés par des milliers d’ennemis, et que le courage le plus désespéré peut seul faire résister à leurs assauts. Si ma position était moins dangereuse, si je n’avais la conviction que le sang-froid et la présence d’esprit ont seuls le pouvoir de me soustraire à un destin plus affreux que la mort, je me précipiterais dans vos bras à l’instant même, Gertrude, et je soulagerais mon cœur oppressé en vous contant mes chagrins, et en versant un torrent de larmes, des larmes les plus amères qui aient jamais été versées. — Gardez-vous-en bien, madame, s’écria la compatissante Flamande ; ne perdez pas courage, dites votre chapelet, fiez-vous à la bonté de Dieu ; et certes, si jamais le ciel envoya un libérateur à quelqu’un prêt à périr, ce jeune homme, qui est si brave, si entreprenant, doit être le vôtre. Il y a aussi quelqu’un, » ajouta-t-elle en rougissant, « sur qui j’ai quelque pouvoir… n’en dites rien à mon père ; mais j’ai ordonné à mon galant, Hans Glover, de vous attendre à la porte de l’Est, et de ne jamais se présenter devant moi que pour venir me dire qu’il vous a conduite en sûreté hors du territoire de notre ville. »

La comtesse ne put exprimer sa reconnaissance à la bonne et excellente fille qu’en l’embrassant avec tendresse, et celle-ci, en lui rendant ses caresses avec beaucoup d’affection, ajouta en souriant : « En vérité, si deux jeunes filles et leurs amants dévoués ne peuvent réussir dans un déguisement et un projet de fuite, le monde est bien changé, il n’est plus ce que j’ai entendu dire qu’il était. »

Une partie de ce discours fit renaître les plus vives couleurs