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ter atteinte à son importance en souffrant que le jeune étranger prît la haute main dans la crise qui venait d’avoir lieu dans la salle du château de Schonwaldt ; et quoiqu’il eût été charmé dans le moment de l’heureux résultat produit par l’intervention de Quentin, il lui semblait, en y réfléchissant, que sa considération avait éprouvé un échec, et il cherchait à se dédommager en exagérant les droits qu’il croyait avoir à la gratitude de son pays en général et de ses amis en particulier, mais plus spécialement encore à la reconnaissance de la comtesse et de son jeune protecteur.

Cependant lorsque le bateau fut parvenu à l’extrémité de son jardin, et qu’avec l’aide de Peter le syndic Pavillon fut descendu sur le rivage, on aurait dit qu’en touchant le seuil de sa maison, ses idées d’amour-propre blessé et de jalousie se dissipaient, et que l’obscur et mécontent démagogue se transformait tout à coup en ami sensible et en hôte hospitalier. Il appela d’une voix forte Trudchen, qui parut aussitôt (car la crainte et l’anxiété n’avaient presque pas permis au sommeil de visiter la cité de Liège durant cette nuit de dangers), et il recommanda à sa fille de donner ses soins à la belle étrangère, encore à demi évanouie. La bonne Trudchen, admirant les charmes de la jeune comtesse et plaignant son infortune, remplit aussitôt auprès d’elle les devoirs de l’hospitalité avec le zèle et l’affection d’une sœur.

Quoiqu’il fût très-tard et que le syndic se sentît fatigué, ce ne fut pas sans beaucoup de difficultés que Quentin esquiva une bouteille d’un excellent vin, aussi vieux que la bataille d’Azincourt ; et il aurait été forcé d’en prendre sa part, quoique bien à contrecœur, si la mère de Trudchen, aux cris que poussait Pavillon pour avoir les clefs de la cave, n’était arrivée sortant de son lit. C’était une petite femme toute ronde : elle avait été jolie dans son temps, mais elle ne se faisait remarquer alors que par un nez pointu et rouge, une voix perçante, et une résolution bien arrêtée que le syndic, en compensation de l’autorité qu’il exerçait au dehors, serait soumis dans sa maison à une discipline sévère.

Aussitôt qu’elle eut appris la cause du débat qui venait de s’élever entre son mari et son hôte, elle déclara d’une manière péremptoire que le premier, loin d’avoir besoin de vin, n’en avait que trop pris ; au lieu donc de se servir, comme il l’en priait, de l’une des clefs dont un énorme trousseau pendait à son côté, soutenu par une chaîne d’argent, elle lui tourna le dos sans cérémonie, et conduisit Quentin dans un appartement si propre, si bien