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dans cette intention, la poterne s’ouvrit tout à coup ; un homme sortit du château, s’élança dans la barque, la dirigea vers la rive opposée, et, après être descendu à terre, la repoussa au milieu de l’eau à l’aide d’une longue perche. À sa grande surprise, Quentin reconnut le Bohémien, qui, le reconnaissant à son tour, l’évita en prenant un autre chemin qui conduisait également à Liège, et disparut bientôt.

Ce fut là un nouveau sujet de réflexions pour Durward. Ce païen avait-il passé tout ce temps avec les dames de Croye ? Quel motif pouvaient-elles avoir eu pour lui donner accès auprès d’elles ? Tourmenté par cette pensée, il se sentit plus déterminé que jamais à avoir une explication avec les deux comtesses, afin de leur dévoiler la perfidie d’Hayraddin et les instruire en même temps de la situation périlleuse dans laquelle les dispositions séditieuses de la ville de Liège plaçaient l’évêque, leur protecteur.

Quentin venait de prendre cette résolution, lorsqu’après avoir fait un long détour, il arriva enfin devant la porte principale du château ; il y entra, et trouva à table, dans la grande salle, tous les commensaux de la maison, c’est-à-dire le clergé de l’évêque, ses grands officiers, et quelques étrangers qui, n’étant pas d’un rang assez élevé dans l’ordre de la noblesse, ne pouvaient être admis à celle du prélat. Une place avait pourtant été réservée pour le jeune Écossais au bout de la table, à côté de l’aumônier de l’évêque, qui l’accueillit en lui rappelant cette plaisanterie usitée dans les collèges : serô venientibus ossa[1], tout en se hâtant de charger son assiette de mets suffisants pour donner un démenti à ce dicton, dont les gens du pays de Quentin disent que c’est une plaisanterie qui n’en est pas une, ou du moins qu’elle est d’un goût peu agréable.

Pour prévenir le reproche que les convives auraient pu lui faire en eux-mêmes d’avoir manqué de savoir-vivre, Quentin raconta brièvement le tumulte survenu dans la ville sitôt que l’on avait découvert qu’il appartenait à la garde écossaise de Louis XI ; et il s’efforça de donner à son récit une tournure plaisante, en disant que s’il s’était retiré d’embarras, c’était grâce à un gros bourgeois de Liège et à sa jolie fille.

Mais ses auditeurs prenaient trop d’intérêt à cette histoire pour la traiter comme une plaisanterie. Toutes les opérations de la table furent suspendues, le service languit, pendant que Quentin

  1. Les os sont pour ceux qui arrivent trop tard. a. m.