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avec le château, car je sais que dans votre pays on a coutume de les porter à une certaine distance. Mais ma famille attachait un orgueil héréditaire à la possession de nombreux chevaux ; et mes pères prenant plaisir à les visiter fréquemment, ils n’auraient pu le faire aussi commodément si les écuries eussent été plus éloignées. Avant la révolution, j’avais trente beaux chevaux dans ces bâtiments ruinés. »

Ce souvenir d’une magnificence passée lui échappa sans doute involontairement ; car, en général, il faisait rarement allusion à son ancienne opulence. Dans ces paroles, prononcées avec simplicité, il n’y avait nulle affectation ; rien qui indiquât que le vieux gentilhomme attachait la moindre importance à la fortune qu’il avait possédée jadis, ou qu’il demandait qu’on le plaignît de ce qu’il ne l’avait plus. Toutefois, ce souvenir réveilla quelques idées pénibles, et nous gardâmes le silence jusqu’au moment où, des débris d’une maisonnette qui avait été jadis la loge du portier, sortit une paysanne française, pleine de vivacité, dont les yeux étaient noirs comme du jais et brillants comme des diamants. Elle vint à nous avec un sourire qui laissait apercevoir des dents auxquelles nombre de duchesses auraient pu porter envie, et prit les rênes du petit équipage.

« Il faut que Madelon exerce aujourd’hui la charge de palefrenier, » dit le marquis après lui avoir fait un signe de tête gracieux, en retour de la profonde révérence qu’elle avait adressée à monseigneur ; « car son mari est allé au marché, et, quant à la Jeunesse, il a tant et de si diverses occupations, qu’il en perd presque la tête. Madelon était la filleule de mon épouse, et avait été élevée pour être femme de chambre de ma fille, » continua-t-il pendant que nous passions sous l’arcade de la porte principale, surmontée des armoiries mutilées des anciens seigneurs, et maintenant à demi cachées sous la mousse et le gramen, sans compter les branches vagabondes de quelques arbrisseaux non taillés.

La connaissance que j’acquis, par ces paroles jetées en passant, que le marquis était un époux, un père, privé de son épouse et de sa fille, augmenta mon respect pour ce vieillard infortuné, que chaque objet qui se rattachait à sa situation présente entretenait, sans aucun doute, dans des réflexions mélancoliques. Après une courte pause, il continua d’un ton plus gai : « Mon pauvre la Jeunesse vous amusera ; et, soit dit en passant, il a dix ans de plus que moi (le marquis en a plus de soixante) : il me rappelle cet ac-