Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/246

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troubles de la ville de Liège paraissaient trop redoutables, il lui était encore possible de faire passer en Allemagne ces malheureuses dames convenablement escortées.

Cette résolution prise (car quel homme a jamais délibéré avec lui-même sans se livrer à quelques réflexions qui lui soient tout à fait personnelles ?), Quentin pensa qu’en le vouant de sang-froid à la mort ou à la captivité, le roi Louis l’avait délié de ses engagements envers la couronne de France ; il se détermina donc à y renoncer complètement. L’évêque de Liège avait sans doute besoin de soldats, et à la demande de ses belles amies, qui, particulièrement la comtesse Hameline, traitaient alors leur jeune protecteur avec beaucoup de familiarité, il pourrait obtenir quelque commandement, peut-être même être chargé d’accompagner les dames de Croye dans quelque place plus sûre que la ville de Liège ou ses environs. Enfin, pour ne rien oublier, ces dames avaient parlé, quoique pour ainsi dire par plaisanterie, de lever les propres vassaux de la comtesse Isabelle, comme les grands personnages le faisaient dans ces temps de troubles, afin de mettre son château en état de défense ; et, à ce sujet, elles avaient demandé à Quentin s’il voulait accepter la charge périlleuse de sénéchal. Ayant répondu qu’il acceptait cette proposition avec une grande joie et un vif empressement, ces dames lui avaient accordé la faveur de leur baiser la main, en signe de sa promotion à une fonction si honorable et si digne de confiance. Quentin avait même cru s’apercevoir que la main de la comtesse Isabelle, une des mains les mieux faites et les plus belles à qui fidèle vassal eût rendu un tel hommage, tremblait lorsque ses lèvres y demeurèrent attachées un moment de plus que la cérémonie ne le requérait, et que, lorsqu’elle la retira, un vif coloris couvrait ses joues, en même temps que ses yeux exprimaient quelque embarras. Il était permis de tirer quelque conséquence de tout cela : et quel homme brave, à l’âge de Quentin, ne se laisserait aller avec un certain plaisir à des considérations si capables d’influer sur sa détermination !

Ce point établi, il eut ensuite à considérer comment il devait agir désormais avec le perfide Bohémien. Il avait abandonné sa première idée de le tuer dans le bois ; mais si, prenant un autre guide, il le congédiait et lui laissait la vie, ce serait envoyer le traître au camp de Guillaume de la Marck pour l’instruire de la direction que prendraient les dames et leur escorte. Il pensa à consulter le prieur et à lui demander de retenir le Bohémien prison-