Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/20

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(car je dois avoir la plus grande franchise avec mon cher ami le public) qu’ils sont en grande partie le résultat de la conversion (je devrais dire la perversion) de ma nièce Christy à l’ancienne foi papale, grâce à un certain prêtre madré[1] de notre voisinage, et du mariage de ma tante Dorothée avec un capitaine de cavalerie, à demi-solde, membre de la légion d’honneur, qui, si l’on voulait l’en croire, serait aujourd’hui maréchal de France[2] si notre ancien ami Bonaparte eût continué de vivre et de triompher. À l’égard de Christy, je dois avouer que la tête lui avait si complètement tourné à Édimbourg, en courant jusqu’à cinq routs[3] par soirée, que, bien que je me méfiasse un peu des moyens et des motifs de sa conversion, je ne fus pas fâché de voir que ses idées commençaient à prendre une tournure plus sérieuse. D’ailleurs, il n’y eut pas grande perte à cela ; car le couvent me débarrassa d’elle, moyennant une pension fort raisonnable. Mais le mariage terrestre de ma tante Dorothée était une chose bien différente des épousailles toutes spirituelles de Christy : en premier lieu, elle avait deux mille livres sterling placées dans les trois pour cent, et qui furent tout aussi complètement perdues pour ma famille, que si cette rente n’eût jamais été inscrite sur le grand-livre de la dette publique : car eût-on jamais pensé que ma tante Dorothée se serait mariée ? Et, d’un autre côté, qui aurait pu s’imaginer qu’une femme qui a cinquante ans d’expérience eût épousé un squelette français, dont les jambes et les bras, presque de même longueur, ressemblent à deux compas entr’ouverts, dont l’un serait posé perpendiculairement sur la tête de l’autre, de telle sorte que l’espace qui existe entre eux serait tout juste assez grand pour figurer un corps ? Tout le reste n’était que moustaches, pelisse et pantalon de calicot. Elle aurait pu avoir un polk de vrais cosaques en 1815, pour la moitié de la fortune qu’elle a laissée à cet épouvantail militaire. Mais à quoi bon s’appesantir sur ce sujet ? elle en était venue au point de citer Rousseau en fait de sentiment ; qu’il n’en soit donc plus question.

Après avoir ainsi expectoré ma bile contre un pays qui n’en est pas moins un pays fort gai et fort agréable, et auquel je n’ai nul

  1. Le texte dit whacking, mot qui signifie rusé ; s’il s’appliquait à un coursier, a whacking fine horse, il signifierait un cheval extraordinairement beau. Ici l’épithète s’applique à un prêtre, nous pensons que madré est une bonne expression. a. m.
  2. Field-marschal a pour équivalent major-général dans le service anglais. a. m.
  3. Grandes soirées anglaises, où les invités, reçus à l’entrée du salon par les maîtres du logis, ne font pour ainsi dire que traverser les appartements, où ils sont pressés et coudoyés, étouffés ou meurtris, ce qui s’appelle une honorable réception. a. m.