Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez[1].
dit Horace ; et véritablement j’ai peine à m’empêcher de pleurer
lorsque je songe à l’échange que j’ai fait de mes jouissances domestiques,
jouissances dont l’habitude m’a fait un besoin, pour
des équivalents étrangers que le caprice et l’amour de la nouveauté
ont mis en vogue. Je ne puis m’empêcher d’avouer, à ma
honte, que mon estomac, encore tout domestique, et accoutumé
aux mets du pays natal, soupire après la bonne et véritable tranche
de bœuf (steak), apprêtée à la manière de Dolly[2], apportée
toute brûlante de dessus le gril, brune à l’extérieur, et devenant
d’un rouge d’écarlate sous le tranchant du couteau : tous les mets
délicats de la carte de Véry, et ses mille manières d’orthographier
ses biffsteeks de mouton, ne peuvent les remplacer. D’un autre
côté, le fils de ma mère ne saurait s’accommoder de boissons fades
et légères ; et aujourd’hui que l’on peut avoir la drèche pour rien,
je suis convaincu qu’une double mesure (straïck) de John Barleycorn[3], dit avoir fait de cette pauvre créature domestique, la petite bière, une liqueur vingt fois plus généreuse que ce breuvage
acide et sans force que l’on honore ici du nom de vin, quoique sa
substance et ses qualités l’assimilent bien plutôt à l’onde légère et
hygiénique de la Seine. Les vins français de première qualité
sont, il est vrai, passables ; il n’y a rien à dire contre le château-margot
ou le sillery, et cependant ils ne peuvent me faire oublier
mon vieux vin d’Oporto, si bon, si généreux. Enfin, sans en excepter
le garçon et son barbet, quoique tous deux soient des animaux
fort divertissants, et qu’ils fassent mille singeries qui ne
laissent pas que d’amuser, cependant il y avait dans le clin d’œil
avec lequel notre vieux Packwood avait coutume de communiquer
les nouvelles de la matinée, plus de franche gaieté que toutes
les gambades d’Antoine ne pourraient en exprimer dans l’espace
d’une semaine ; et dans le remuement de queue du brave Trusty,
plus de sympathie humaine et canine que dans toute la contenance
de son rival Toutou, se fût-il tenu sur ses pattes de derrière pendant
toute une année.
Ces signes de repentir viennent peut-être un peu tard, et j’avoue