Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.

homme d’État pouvaient paraître une compensation de ce qui lui manquait du côté de la tournure et des manières, les nobles chevaux qu’il achetait presque à tout prix étaient totalement insensibles à l’honneur de porter un cardinal, et n’avaient pas plus de respect pour lui qu’ils n’en auraient eu pour son père le tailleur, avec qui il rivalisait dans l’art de l’équitation. Le roi le savait : aussi, en poussant et retenant alternativement sa propre monture, il amena celle du cardinal, qu’il maintenait toujours à côté de lui, à un tel état de mutinerie contre son maître, que bientôt il devint évident qu’ils ne resteraient pas long-temps ensemble. Au milieu de toutes ces saccades, pendant que le coursier du prélat ruait, se cabrait, tournait quelquefois sur lui-même, le roi s’amusait à augmenter sa détresse, en lui faisant diverses questions sur des affaires importantes, et en lui donnant à entendre qu’il se proposait de profiter de cette occasion pour lui communiquer quelques-uns de ces secrets d’État que, peu de minutes auparavant, le cardinal avait témoigné tant d’empressement de connaître.

On se ferait difficilement idée d’une situation aussi désagréable que celle d’un conseiller privé, obligé d’écouter son souverain et de lui répondre, tandis que chaque nouvelle courbette de son cheval, devenu insensible au frein, le plaçait dans une attitude toujours nouvelle et toujours plus précaire, sa robe violette flottant dans toutes les directions, et rien ne le mettant à l’abri d’une chute imminente et dangereuse, que les deux arçons et la profondeur de sa selle. Dunois riait sans se contraindre, tandis que le roi, qui avait une manière à lui particulière de jouir intérieurement du succès de ses malices, au lieu d’en rire tout haut, reprochait doucement à son ministre son ardeur pour la chasse, qui ne lui permettait pas d’accorder quelques moments aux affaires. « Mais je ne veux pas vous retenir plus long-temps, » continua-t-il en s’adressant au cardinal terrifié ; et en même temps il lâcha la bride à son cheval. Avant que la Balue pût dire un seul mot, soit pour répondre, soit pour s’excuser, son cheval, prenant le mors aux dents, partit au triple galop, laissant bientôt derrière lui le roi et Dunois, qui le suivaient d’un pas plus régulier, tout en jouissant de la détresse de l’homme d’État.

S’il est arrivé à quelqu’un de nos lecteurs, dans son temps, comme à nous dans le nôtre, d’être emporté de cette manière, il se fera aisément une idée exacte des angoisses, des dangers et de