Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/123

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J’ai vu les équipages, les chevaux et la suite du comte de Crève-cœur, ajouta un des convives : on dit que le roi ne veut pas l’admettre dans le château. — Puisse le ciel inspirer au roi une réponse vigoureuse ! dit Guthrie. Mais de quoi le duc Charles se plaint-il ? — D’une foule de griefs relatifs aux frontières, répondit Jord Crawford ; enfin de ce que le roi a reçu sous sa protection une dame de son pays, une jeune comtesse qui s’est enfuie de Dijon parce que le duc, dont elle est la pupille, voulait la marier à son favori Campo-Basso. — Et est-elle venue seule ici, milord ? demanda Lindesay. — Non, pas tout à fait seule, répondit lord Crawford ; elle est accompagnée d’une vieille comtesse, sa parente, qui a cédé aux désirs de sa cousine dans cette affaire. — Mais, demanda Cunningham, le roi, en sa qualité de souverain féodal du duc, interviendra-t-il entre lui et sa pupille, sur laquelle Charles a les mêmes droits que, si ce même Charles lui-même était mort, le roi aurait sur l’héritière de Bourgogne ? — Le roi, répondit lord Crawford, se déterminera, suivant sa coutume, d’après les règles de la politique ; et vous savez qu’il n’a pas reçu ces dames publiquement ; il ne les a point placées sous la protection de sa fille, la dame de Beaujeu, non plus que sous celle de la princesse Jeanne, en sorte qu’il n’y a pas de doute qu’il ne se règle d’après les circonstances. Il est notre maître… mais il est permis de dire, sans se rendre coupable de trahison, qu’il peut chasser avec les chiens de quelque prince de la chrétienté que ce soit, et courir le lièvre avec eux. — Mais le duc de Bourgogne ne s’accommode pas aisément de toutes ces finesses, répliqua Cunningham. — Non, sans doute, répondit le vieux lord, et c’est pourquoi il y aura probablement quelque vif débat entre eux. — Eh bien ! dit le Balafré, je prie saint André qu’il les maintienne dans ces bons sentiments. On m’a prédit, il y a dix ans… que dis-je ? il y en a vingt, je crois, que je ferais la fortune de ma maison par un mariage. Qui sait ce qui peut arriver, si nous commençons une fois à combattre pour l’honneur et l’amour des dames, comme on le voit dans les anciens romans ? — Toi ! parler de l’amour des dames, avec une telle tranchée sur le visage ! dit Guthrie. — Autant vaut ne rien aimer que d’aimer une Bohémienne, une fille de cette race de païens, répondit le Balafré. — Holà, camarades ! dit lord Crawford ; ne joutons entre nous qu’avec des armes courtoises[1], des

  1. Dans les tournois, on appelait armes courtoises les lances dont l’extrémité était garnie d’un tampon, afin qu’elles ne pussent pas faire de blessure, par opposition à