Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/591

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et, lorsqu’ils furent seuls, il lui demanda d’un air significatif qui fit remonter au visage du duc tout le sang qui coulait dans ses veines : « Depuis quand, George, votre utile ami, le colonel Blood, est-il devenu musicien ?… Vous vous taisez, ajouta-t-il. Ne cherchez pas à nier le fait, car, quand une fois on a vu ce scélérat, on n’oublie plus sa figure… À genoux, à genoux, George, et reconnaissez que vous avez abusé de ma facilité… Ne cherchez pas à vous justifier, cela ne servirait de rien. J’ai vu moi-même cet homme parmi vos Allemands, comme vous les appelez ; et vous savez ce que je dois penser d’une telle circonstance. — Eh bien, croyez que j’ai été coupable, très-coupable, sire, » dit le duc accablé par le témoignage de sa conscience, et tombant à genoux ; « croyez que de pernicieux conseils m’ont égaré, que j’étais fou ; croyez tout ce que vous voudrez, mais ne supposez pas que j’aie pu former ou seconder un complot dirigé contre votre personne. — Je ne le suppose pas, dit le roi ; je vois en vous, Villiers, le compagnon de mes dangers et de mon exil ; et loin de penser que vous eussiez de plus mauvais desseins que vous ne le dites, je suis convaincu que vous vous faites plus coupable que vous n’avez jamais eu l’intention de l’être. — Par tout ce qu’il y a de sacré, » dit le duc toujours à genoux, « si je n’eusse été engagé avec ce coquin de Christian au point que ma fortune et ma vie en dépendaient… — Oh ! si vous ramenez Christian sur la scène, » dit Charles en souriant, « il est bon que je me retire. Allons, Villiers, lève-toi ; je te pardonne, et te prescris seulement un acte de pénitence, la malédiction que tu prononças toi-même contre le chien qui te mordit : le mariage et la retraite dans tes terres. »

Le duc se releva confus, et suivit le roi dans le salon, où Charles entra appuyé sur l’épaule du lord repentant, à qui il fit si bonne mine, que les plus clairvoyants de ceux qui étaient présents furent portés à douter que les soupçons élevés contre le duc eussent aucun fondement réel.

La comtesse de Derby avait, dans cet intervalle, tenu conseil avec le duc d’Ormond, les Peveril et ses autres amis ; et, d’après leur avis unanime, quoique avec la plus grande répugnance, elle fut amenée à penser qu’il suffisait, pour réparer l’honneur de sa maison, qu’elle se fût ainsi montrée à la cour ; et que le parti le plus sage, après cette démonstration, était de se retirer dans son île, sans provoquer davantage le ressentiment d’une faction puissante. Elle prit congé du roi dans les formes, et lui demanda la permission d’emmener avec elle la malheureuse créature qui s’était si étrangement soustraite à sa protection, pour se lancer dans un monde où sa situation l’exposait à toute espèce de maux.

« Votre Seigneurie me pardonnera-t-elle ? dit Charles. J’ai long-