Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/589

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pour s’y rendre à cause du nain. Ah ! ah ! je pense que j’ai frappé juste, maître Julien ! »

Julien tressaillit en effet à ces mots du roi ; car ils lui rappelèrent les visites qu’il avait reçues pendant la nuit dans sa prison.

Le roi le regarda fixement, et continua ensuite : « Eh bien ! messieurs, Peveril est amené devant le tribunal, et n’est pas plus tôt libre que nous le trouvons dans la maison où le duc de Buckingham préparait ce qu’il appelle une mascarade musicale. Par ma foi ! je regarde comme à peu près certain que cette égrillarde a donné le change à Sa Grâce, et nous a lâché le nain dans le violoncelle, pour se réserver ces moments précieux et les passer avec maître Julien Peveril… Est-ce que vous ne pensez pas comme moi, monsieur Christian, vous que l’on mêle à tout ? Y a-t-il du vrai dans cette conjecture ? »

Christian lança un coup-d’œil sur Zarah, et lut dans ses yeux quelque chose qui l’embarrassa. « Il ne savait rien, dit-il ; il avait à la vérité retenu cette danseuse sans pareille pour jouer le rôle en question dans la mascarade projetée, et elle devait sortir au milieu d’une pluie de feu produite par des pièces d’artifice, préparées fort ingénieusement de manière à ne causer aucun accident, avec des parfums pour neutraliser l’odeur de la poudre ; mais il ignorait pourquoi (si ce n’est qu’elle était volontaire et capricieuse comme tous les grands génies), elle avait fait échouer le concert en mettant à sa place ce petit magot de nain. — Je voudrais, dit le roi, que cette petite danseuse voulût bien à son tour donner son témoignage sur cette affaire mystérieuse, en employant les moyens qui lui servent à exprimer sa pensée. Quelqu’un ici est-il en état de l’entendre ? » Christian dit qu’il la comprenait un peu depuis qu’il avait fait sa connaissance à Londres. La comtesse n’ouvrit pas la bouche ; mais le roi s’étant adressé à elle, elle répondit un peu sèchement qu’elle devait nécessairement avoir des moyens habituels de se faire entendre d’une personne qui était demeurée auprès d’elle pendant tant d’années.

« D’après ce que nous savons, je croirais, dit Charles, que maître Julien Peveril possède mieux que personne la clef de son langage. »

Le roi regarda d’abord Peveril, qui rougit comme une jeune fille du sens attaché aux paroles du roi, et tourna subitement les yeux vers la muette supposée, dont les joues commençaient déjà à perdre la légère teinte qui les avait d’abord colorées. Un moment après, à un signal de la comtesse, Fenella, ou Zarah, s’avança ; puis s’étant agenouillée et ayant baisé la main de sa maîtresse, elle se tint debout les bras croisés sur la poitrine, d’un air soumis, aussi différent de celui qu’elle avait dans le harem du duc de Buckingham que la contenance d’une Madeleine diffère de