Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/585

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montrassent le zèle et la promptitude qu’il avait coutume de déployer lorsque Charles Ier l’appelait à un conseil de guerre, paraissait un peu violer les règles de la convenance dans un salon et en temps de paix. Il s’arrêta à la porte du cabinet ; mais lorsque le roi lui dit d’approcher, il s’avança rapidement, et, toutes les sensations de sa jeunesse et des derniers mois de sa vie se réveillant et se croisant dans sa mémoire, il se jeta à genoux devant le monarque, saisit sa main, et, sans même essayer de parler, pleura abondamment. Charles, qui sentait profondément aussi long-temps que l’objet qui lui faisait impression se trouvait sous les yeux, se prêta pour quelque temps aux transports du vieux chevalier. « Mon bon sir Geoffrey, dit-il, vous avez été maltraité ; nous vous devons un dédommagement, et nous trouverons l’occasion de payer notre dette. — Je n’ai rien souffert, vous ne me devez rien, sire, dit le vieillard ; je m’embarrassais peu de ce que les coquins disaient de moi : je savais qu’ils ne trouveraient jamais douze honnêtes gens pour croire un mot de leurs damnés mensonges. Je confesse pourtant que je mourais d’envie de les battre lorsqu’ils m’appelaient traître à Votre Majesté ; mais avoir une occasion si prompte de présenter mes devoirs à Votre Majesté me dédommage de tout. Les drôles voulaient me persuader que je ne devais pas me présenter à la cour… Ha ! ha ! »

Le duc d’Ormond s’aperçut que le roi rougissait fortement ; car c’était en effet de la cour que provenait l’avis particulier donné à sir Geoffrey, de partir pour la campagne sans paraître à White-Hall. Il soupçonnait de plus que le brave chevalier ne s’était pas levé de table le gosier tout à fait sec, après les fatigues d’une journée si agitée. « Mon vieil ami, » lui dit-il tout bas, « vous oubliez que votre fils doit-être présenté : permettez-moi d’avoir cet honneur. — Je demande très-humblement pardon à Votre Grâce, dit sir Geoffrey, mais c’est un honneur que je me réserve, car je pense que personne n’a autant de titres à l’offrir et à le consacrer au service de Sa Majesté que le père qui l’a engendré. Julien, avance, et agenouille-toi. Le voici, avec la permission de Votre Majesté… Julien Peveril, un échantillon de la vieille souche, un rejeton aussi vigoureux, quoique un peu moins haut, que le vieux tronc lorsqu’il commençait à verdir. Recevez-le, sire, comme un fidèle serviteur, il est à vous à vendre et à pendre[1], comme disent les Français : s’il craint le fer ou le feu, la hache ou la potence, pour le service de Votre Majesté, je le renie, ce n’est pas mon fils, je le désavoue, et il peut aller dans l’île de Man, dans l’île des Chiens, ou dans l’île des Diables, peu m’importe. »

  1. Ou plutôt à dépendre, ce qui signifie : à dépenser, à employer de quelque façon que ce soit. a. m.