Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/570

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rant des années, de longues années : le tout pour mériter votre seule approbation, et soutenue par l’espoir de la vengeance contre une femme qui, si elle fut criminelle en assassinant mon père, en a été cruellement punie en nourrissant dans son sein un serpent qui avait les dents, mais non la surdité de la vipère. — Bien ! bien ! dit Christian ; mais n’aviez-vous pas votre récompense dans mes éloges, dans la conscience de cette dextérité sans égale au moyen de laquelle, supérieure à tout ce que l’histoire a jamais cité de votre sexe, vous supportiez ce que jamais femme n’avait enduré avant vous, l’insolence sans paraître vous en apercevoir, l’admiration sans répondre, et le sarcasme sans répliquer ? — Non pas sans répliquer, » dit Zarah avec fierté. « La nature n’a-t-elle pas donné à mes sentiments un moyen d’expression plus énergique que la parole ? et mes cris inarticulés ne faisaient-ils pas trembler ceux qui qui se seraient peu embarrassés de mes prières ou de mes plaintes ? Mon orgueilleuse maîtresse, qui assaisonnait ses charités de brocards qu’elle croyait n’être pas entendus, en était justement récompensée par mon exactitude à mettre son ennemi mortel dans la confidence de ses intérêts les plus chers et les plus secrets. Et ce comte, pétri de vanité, homme aussi insignifiant que le panache qui flottait sur sa toque ; et ces demoiselles et ces dames qui me raillaient, n’en ai-je pas tiré ou n’en puis-je pas tirer facilement vengeance ? Mais il en est un, » dit-elle en levant les yeux au ciel, « qui ne m’a jamais tournée en ridicule, dont le cœur généreux traitait même la pauvre muette comme une sœur, qui ne dit jamais un mot d’elle que pour l’excuser ou la défendre. Et vous prétendez que je ne dois pas l’aimer, que c’est folie de l’aimer ! Je serai folle, car je l’aimerai jusqu’au dernier soupir. — Songe donc un instant, sotte que tu es (sotte en un seul point, car tu peux d’ailleurs le disputer à toutes les femmes de l’univers), songe que je t’ai proposé, pour te dédommager de cette affection sans espoir, la plus brillante carrière. Songe qu’il ne dépend que de toi d’être la femme, la femme reconnue du puissant Buckingham ! Avec mes talents, avec ton esprit et ta beauté, avec son amour passionné de ces deux qualités, un instant suffirait pour te mettre au rang des princesses d’Angleterre. Laisse-toi seulement guider par moi : le duc est maintenant dans une situation désespérée ; il a besoin de tous les secours pour regagner son crédit, et principalement de celui que seuls nous pouvons lui prêter. Laisse-moi te diriger, et le destin