Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/550

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riorité que doit avoir celui qui reçoit l’injure sur celui qui la fait ou au nom de qui elle est faite, donnait de la dignité à son regard et de la fermeté à sa démarche. Elle portait le grand deuil de veuve, et ses vêtements étaient coupés à la mode de l’époque où son mari avait péri sur l’échafaud ; car, depuis trente années que ce fatal événement était arrivé, elle n’avait jamais permis à sa femme de chambre de rien changer à sa toilette.

La surprise ne fut pas des plus agréables pour le roi : maudissant au fond de son cœur la précipitation avec laquelle il avait ordonné d’introduire la dame inconnue sur cette scène de plaisir et de gaieté, il vit en même temps la nécessité de la recevoir d’une manière digne de son propre caractère, et du rang qu’elle occupait à la cour d’Angleterre. Il s’approcha d’elle avec un air de satisfaction pour lequel il dépensa toute sa grâce naturelle, et se mit à lui dire en français : « Chère comtesse de Derby, puissante reine de Man, notre très-auguste sœur… — Parlez anglais, sire, si du moins je puis me permettre de vous demander cette faveur, interrompit la comtesse. Je suis pairesse de ce royaume, mère d’un comte anglais, et veuve, hélas ! d’un autre. C’est en Angleterre que j’ai passé mes jours si courts de bonheur et mes années si longues de veuvage et de chagrin. La France et sa langue ne sont plus pour moi que les rêves d’une enfance sans intérêt. Je ne connais d’autre langue que celle de mon époux et de mon fils, permettez-moi donc, comme veuve et mère d’un Derby, de vous rendre ainsi mon hommage. »

Elle allait s’agenouiller, lorsque le roi la retint gracieusement, et la baisant sur la joue, suivant l’étiquette, il la conduisit vers la reine, à qui il voulut lui-même la présenter. « Votre Majesté doit savoir que la comtesse, dit-il, a mis interdiction sur le français, la langue de la galanterie et des compliments. J’espère que Votre Majesté, bien qu’étrangère aussi, trouvera assez de bon anglais pour assurer à la comtesse de Derby le plaisir que nous ressentons à la voir venir à la cour, après une absence de tant d’années ? — Je m’efforcerai du moins de le faire, » répondit la reine, sur qui l’extérieur de la comtesse de Derby produisit une impression plus favorable que celle de plusieurs étrangères qu’à la prière du roi elle avait coutume de recevoir avec courtoisie.

Charles reprit lui-même la parole : « À toute autre dame du même rang je pourrais demander pourquoi elle a été si longtemps absente de la cour ; je crains que la seule question que je