Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/51

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risque d’offenser gravement son souverain et cette princesse, et de nuire à la négociation qui était le but de son voyage. Il n’est pas à présumer qu’un homme aussi sage eût agi de cette manière s’il n’avait regardé une telle coutume comme une chose criminelle et condamnable. — Avec tout le respect possible pour Whitelocke, répondit lady Peveril, je garde mon opinion, quoique, Dieu le sait, j’aie en horreur tout ce qui est excès et débauche. Je voudrais néanmoins pouvoir faire quelques concessions à vos scrupules : tout ce que je puis promettre, c’est de ne point exciter les toasts ; mais quant aux santés du roi et de Peveril du Pic, à coup sûr elles sont permises. — Je n’oserais, milady, brûler la quatre-vingt-dix-neuvième partie d’un grain d’encens sur l’autel élevé à Satan. — Comment, monsieur, mettez-vous Satan en comparaison avec notre maître le roi Charles et le noble lord mon époux. — Pardon, milady, reprit Bridgenorth, je n’ai pas eu cette pensée : elle me conviendrait, en vérité, fort mal. Je fais les vœux les plus sincères pour la santé du roi et celle de sir Geoffrey, et je prierai pour l’un et pour l’autre ; mais je ne vois pas quel bien il résulterait pour leur santé du mal que je pourrais faire à la mienne en buvant à longs traits bouteilles pour bouteilles ? — Puisque nous ne pouvons nous accorder sur ce point, dit lady Peveril, il faut chercher quelque autre moyen pour n’offenser aucun des deux partis. Voulez-vous consentir à détourner vos yeux de nos amis lorsqu’ils porteront leurs santés ; à notre tour nous feindrons de ne pas nous apercevoir que vous n’y prenez aucune part. »

Mais cette convention n’était pas de nature à plaire davantage à Bridgenorth, qui prétendit que ce serait exactement tenir la chandelle à Belzébuth. Son caractère naturellement opiniâtre l’était encore plus dans ce moment que dans tout autre : cette disposition résultait d’un entretien qu’il venait d’avoir avec son ministre, lequel, bien que très-bon homme au fond, était d’une ténacité particulière et déraisonnable pour tout ce qui touchait aux dogmes insignifiants adoptés par sa secte. Songeant avec une crainte extrême à la prépondérance que cette dernière révolution allait donner au papisme, à la prélature et à Peveril du Pic, il redoubla de zèle et d’ardeur pour mettre son troupeau sur ses gardes et l’empêcher d’être dévoré par le loup. Il voyait avec un extrême déplaisir que le major Bridgenorth, le chef incontestable du parti presbytérien dans ce pays, eût confié sa fille unique aux soins d’une Cananéenne (c’est ainsi qu’il appelait lady Peveril) ;