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parcourut une seconde fois les obscurs passages qu’il avait déjà traversés en venant, et se retrouva bientôt à la porte de la prison, d’où une voiture, escortée par deux officiers de justice, le mena au bord de l’eau.

Une barque l’y attendait avec quatre gardes de la Tour, entre les mains desquels il fut remis par ses anciens guichetiers, avec toutes les formalités d’usage. Mais Clink, le porte-clefs dont il avait plus particulièrement fait la connaissance, ne prit pas congé de lui sans lui remettre le morceau de crêpe noir qu’il avait demandé. Peveril l’attacha à son chapeau, tandis que les gardes chuchotaient entre eux. « Voilà un gaillard bien pressé de prendre le deuil, dit l’un ; il ferait mieux d’attendre qu’il en eût réellement sujet. — Peut-être d’autres le prendront-ils pour lui, avant qu’il le prenne pour personne, » répondit un autre de ces agents.

Cependant malgré l’impertinence de ces remarques faites à voix basse, leur conduite à l’égard du prisonnier était plus respectueuse que ne l’avait été celle de ses premiers gardiens, et l’on aurait pu l’appeler une civilité sombre. Les geôliers ordinaires étaient en général grossiers, attendu qu’il avaient affaire à des coquins de toute espèce ; tandis que ceux-ci n’étaient en rapport qu’avec des gens accusés de crimes d’état, à qui leur naissance et leur fortune donnaient ordinairement le droit d’exiger, et la faculté de récompenser généreusement ces égards.

Le changement de gardes n’attira cependant pas l’attention de Julien autant que la scène belle et variée que présentait à ses yeux le magnifique et large fleuve sur lequel il voguait : une foule de barques passèrent à quelque distance chargées de personnes qui allaient à leurs affaires ou à leurs plaisirs. Julien les examina seulement avec le triste espoir que la personne qui avait cherché à ébranler sa fidélité par la perspective de sa délivrance, verrait, à la couleur du signe qu’il avait pris, combien il était fermement résolu à résister à cette tentation.

C’était l’heure de la haute marée, et une grande barque, qui remontait à force de voiles et de rames, arrivait si directement sur celle qui portait Julien, qu’elle semblait vouloir la heurter. « Préparez vos carabines, » s’écria le gardien principal à ses compagnons. » Que diable veulent donc faire ces gredins ? »

Mais l’équipage de l’autre barque sembla s’être aperçu de son erreur ; car elle changea soudain de direction et regagna le large,