Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/447

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teurs, des brigands et des oppresseurs, des tyrans du sexe féminin et des rebelles à toute autorité régulière. Tels furent Gog et Magog, que nos chroniques les plus authentiques disent avoir été tués, près de Plymouth, par le brave petit chevalier Corineus, qui donna son nom au comté de Cornouailles. Ascaparte aussi fut dompté par Bevis, et Colbrand par Guy, comme le peuvent attester Southampton et Warwick. Tel fut encore le géant Hoël, tué en Bretagne par le roi Arthur. Et si Ryence, roi de la partie septentrionale du pays de Galles, qui fut mis à mort par ce même champion de la chrétienté, ne peut réellement pas s’appeler un géant, il est certain qu’il n’en vaut guère mieux, puisqu’il lui fallait vingt-quatre barbes de rois pour fourrer sa robe, et qu’alors on portait la barbe dans toute sa longueur : de sorte qu’en évaluant chaque barbe à dix-huit pouces (et vous ne pouvez accorder moins à une barbe royale), et en supposant qu’on en eût garni seulement le devant de la robe, comme nous le faisons en employant l’hermine, et que le derrière, au lieu d’être doublé et bordé de peaux de chats sauvages et d’écureuils, l’était avec des barbes de comtes, de ducs et d’autres dignitaires inférieurs, nous pouvons raisonnablement estimer que la taille de Ryence… mais je ferai ce calcul demain matin. »

Rien n’est plus soporifique pour quiconque n’est ni philosophe ni homme de finances, qu’une opération d’arithmétique ; et quand on est au lit, l’effet en est irrésistible. Sir Geoffrey se rendormit en cherchant à déterminer quelle était la taille du roi Ryence, d’après la longueur probable de son manteau. Il est vrai que, s’il n’eût pas renoncé à faire ce calcul abstrait, on ne peut présumer combien il aurait disserté de temps sur la supériorité des hommes de petite taille : car ce sujet avait pour lui tant de charmes que, si nombreux que soient les récits de ce genre, il avait recueilli presque tous les exemples de victoires remportées par de petits hommes sur des géants historiques ou romanesques.

Aussitôt que des signes non équivoques du profond sommeil de Geoffrey arrivèrent aux oreilles de Julien, il se remit à écouter avec la plus grande attention pour entendre de nouveau la voix mystérieuse qui excitait en même temps son intérêt et sa surprise. Déjà même, tandis qu’Hudson parlait, au lieu de prêter l’oreille à son éloge pompeux des gens de petite taille, il était demeuré aux aguets, épiant le moindre bruit d’une nature quelconque qui pouvait retentir dans l’appartement, en sorte qu’il lui semblait presque