Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/443

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à Rembrandt la tentation de le peindre comme un alchimiste ou comme un nécromancien occupé de quelque bizarre expérience, et se conformant aux préceptes contenus dans un de ces gros manuels qui traitent des arts mystiques.

L’attention du nain portait cependant sur un objet plus matériel, car il préparait tout simplement pour son déjeuner une soupe d’une saveur exquise, dont il invita Peveril à manger sa part. « Je suis un vieux soldat, dit-il, et je dois ajouter un vieux prisonnier ; par conséquent je sais me tirer d’affaire mieux que vous, jeune homme. Le diable emporte le gredin de Clink ! il a mis la boîte aux épices hors de ma portée : voudriez-vous me la faire passer ? elle est sur le manteau de la cheminée. Je vous apprendrai, comme disent les Français, à faire la cuisine ; et puis, si cela vous convient, nous partagerons en frères les travaux de notre prison. »

Julien accéda sans hésitation à la proposition amicale du petit homme, et se garda bien de lui donner à entendre que sans doute ils n’habiteraient pas long-temps ensemble. La vérité est que, bien qu’en somme il fût porté à regarder comme un effet de son imagination exaltée la voix qu’il se figurait avoir ouïe la nuit précédente, cependant il éprouvait un vif désir de voir comment une seconde nuit se passerait dans la même cellule ; et les accents de cet être invisible qu’il avait, à minuit, entendus avec terreur, n’excitaient plus alors dans son souvenir qu’une douce et agréable agitation, provenant à la fois et d’une sorte de crainte et d’une vive curiosité.

Les jours qui s’écoulent dans une prison n’ont presque rien qui les distingue les uns des autres. Celui qui succéda à la nuit que nous avons décrite ne présenta aucune circonstance remarquable. Le nain prêta à son jeune compagnon un volume semblable à celui qu’il s’occupait à lire, et qui se trouvait être un tome d’un des romans aujourd’hui oubliés de Scudéri, dont Geoffrey Hudson était grand admirateur, et qui étaient alors fort à la mode dans les cours de France et d’Angleterre, quoiqu’on fût parvenue réunir dans ces immenses in-folios toutes les invraisemblances et toutes les absurdités des anciens romans de chevalerie, moins le feu d’imagination qui distingue ces derniers, et toutes les sottises métaphysiques que Cowley et les autres poètes de l’époque ont entassées sur la passion de l’amour, comme des monceaux de charbon menu jetés sur un feu languissant, et qui l’étouffent au lieu de le nourrir.