Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/437

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même ton, et aggrava même la première offense en parlant du Petit-Poucet, et en se permettant d’autres comparaisons aussi méchantes qu’inutiles, au point que je fus forcé de lui envoyer un cartel, et une rencontre s’ensuivit. Or, comme j’aimais réellement ce jeune homme, mon intention n’était que de le corriger par une égratignure ou deux, et j’aurais bien voulu qu’il choisît l’épée, mais il préféra le pistolet, et s’étant rendu à cheval sur le terrain, il tira par manière d’arme un de ces petits instruments dont les enfants malins ont coutume de se servir dans leurs jeux, pour se lancer de l’eau ; un… une… ma foi, j’en ai oublié le nom. — Une seringue sans doute, dit Peveril, qui commençait à se souvenir d’avoir entendu parler de cette aventure.

« Comme vous dites. Oui, vous avez en effet trouvé le nom de ce maudit engin, dont j’ai souvent ressenti les effets en traversant les cours de Westminster. Eh bien, monsieur, cette marque de mépris me força de tenir à mon adversaire un langage qui le mit dans la nécessité de prendre des armes plus sérieuses. Nous combattîmes à cheval, partant d’un endroit marqué et avançant à un signal convenu ; et comme je ne manque jamais mon coup, j’eus le malheur de tuer l’honorable M. Crofts du premier feu. Je ne souhaiterais pas à mon plus mortel ennemi la douleur que j’éprouvai lorsque je le vis perdre l’équilibre sur sa selle et tomber à terre ; et quand j’aperçus son sang qui coulait en abondance, le ciel m’est témoin que j’aurais voulu voir plutôt couler tout le mien. Ainsi périrent jeunesse, espérances et bravoure, sacrifiées à une sotte et imprudente plaisanterie. Pourtant, hélas ! pouvais-je agir autrement, puisque l’honneur est pour ainsi dire l’air que nous respirons, et qu’on ne peut, dans aucun sens, dire que nous vivions, si nous souffrons qu’on nous en prive ? »

Le ton de sentiment avec lequel cet extrait de héros termina son récit donna à Julien une meilleure idée de son cœur et même de son jugement ; car il n’avait pu jusque-là concevoir une opinion fort avantageuse d’un personnage qui se glorifiait d’avoir, dans une grande occasion, formé le contenu d’un pâté. Cela lui donna lieu de conclure que le petit champion ne s’était laissé entraîner à montrer tant de complaisance, que par la nécessité que lui imposait sa situation, par sa propre vanité, et par les flatteries dont l’accablaient ceux qui cherchaient à s’amuser à ses dépens. Cependant le sort du malheureux Crofts, ainsi que différents exploits de ce nain martial, durant les guerres civiles, où il com-