Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/434

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mon sabre et mon poignard n’auraient pu me servir qu’à venger, et non assurément à prévenir une affreuse catastrophe. — À coup sûr, c’est ainsi que je l’entends, » dit Julien qui commençait du reste à penser que la compagnie de ce nain babillard ne servirait qu’à aggraver encore les inconvénients d’une prison, au lieu de les alléger. — Même, » continua le petit homme sans perdre son sujet de vue, « j’eus encore d’autres motifs d’appréhension ; car il plut à lord Buckingham, père de celui qui porte actuellement le titre de duc, et qui est à la cour dans toute la plénitude de la faveur, d’ordonner qu’on emportât le pâté à l’office et qu’on le remît au four, alléguant fort mal à propos qu’il serait beaucoup meilleur chaud que froid. — Et cette circonstance, monsieur, ne troubla-t-elle pas votre égalité d’âme ? — Mon jeune ami, je ne puis le nier : la nature exerce toujours ses droits, même sur les plus braves. Je pensais à Nabuchodonosor et sa fournaise ardente, et la peur seule me faisait éprouver déjà une sensation de chaleur. Mais grâces au ciel ! je songeais aussi à mes devoirs envers ma royale maîtresse, et j’étais en conséquence obligé de trouver en moi assez de force pour résister à la tentation d’apparaître avant l’instant marqué. Néanmoins le duc (si c’était par malice, puisse le ciel le lui pardonner !) se rendit à l’office et pressa vivement le chef de remettre le pâté au feu, ne fût-ce que cinq minutes seulement ; mais le chef de cuisine, qui connaissait heureusement les intentions bien différentes de ma noble maîtresse, s’y refusa avec une courageuse énergie ; et je fus encore replacé sain et sauf sur la table royale. — Et sans doute délivré de votre emprisonnement en temps convenable ? — Oui, monsieur ; cet heureux, et je puis dire ce glorieux moment arriva enfin. La croûte de dessus fut enlevée, et je parus au son de la trompette et du clairon, comme l’âme d’un guerrier quand l’heure du jugement dernier sonnera, ou plutôt, si cette comparaison est trop audacieuse, comme un champion délivré d’un charme qui le retenait immobile. Ce fut alors que, mon bouclier au bras et ma bonne lame à la main, j’exécutai une espèce de danse guerrière, dans laquelle mon adresse et mon agilité faisaient de moi un vrai prodige, déployant en même temps mes postures d’attaque et de défense d’une manière si complètement inimitable, que je fus presque assourdi des applaudissements qui retentirent autour de moi, et noyé dans les eaux parfumées que me jetèrent à pleins flacons les dames de la cour. Je me vengeai aussi de lord Buckingham ; car, comme je