Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/432

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couper leurs longues piques avec nos sabres ; et je suis convaincu que nous les aurions enfoncés, si je n’avais eu une grande brute de cheval à longues jambes, et un sabre un peu trop court. Bref, nous fûmes enfin obligés de faire volte face, et alors, comme j’allais le dire, les coquins furent si contents d’être débarrassés de nous, que la joie leur fit crier : « Voilà Robin le prince et Robin le coq qui décampent !… » Oui, oui, tous ces drôles-là me connaissaient bien. Mais ces temps ne sont plus. Et où avez-vous été élevé, jeune homme ? »

Peveril répondit que c’était dans la maison de la comtesse de Derby.

« Une très-honorable dame, sur ma parole de gentilhomme. J’ai bien connu la noble comtesse, lorsque j’étais auprès de ma royale maîtresse, Henriette-Marie : elle était alors le véritable modèle de ce qu’il y avait de noble, de loyal et d’aimable ; c’était, je m’en souviens, une des quinze belles de la cour à qui je permettais de m’appeler piccoluomini[1], impertinente plaisanterie sur la taille quelque peu petite qui m’a toujours distingué des hommes ordinaires, même lorsque j’étais jeune : aujourd’hui l’âge en me courbant a réduit ma stature ; mais les dames voulaient toujours me railler. Peut-être, jeune homme, me suis-je fait indemniser par quelques-unes d’entre elles d’une façon ou d’une autre, je ne vous dis ni oui ni non ; mais assurément servir les dames, et se plier à leurs caprices, même quand ils sont trop indiscrets et trop bizarres, c’est le propre d’un homme bien né. »

Tout abattu qu’était Peveril, il ne put que difficilement s’empêcher de rire en regardant le pygmée qui racontait ces histoires avec tant de complaisance, et qui semblait disposé à proclamer, en se servant à lui-même de héraut, qu’il avait été un véritable modèle de valeur et de galanterie, quoique l’amour et les armes parussent être deux métiers totalement inconciliables avec ses traits ridés et son petit corps usé par l’âge. Julien évita néanmoins très-soigneusement de causer la moindre peine à son compagnon, et, cherchant à le mettre de bonne humeur, il lui dit qu’indubitablement un homme élevé, comme sir Geoffroy Hudson, dans les cours et les camps, savait exactement quelles étaient les libertés qu’il pouvait souffrir et celles qu’il devait ne point permettre.

  1. En italien, piccolo, petit ; uomo, homme ; piccoluomini, petits hommes. Ce dernier mot était le nom propre d’un général italien de ce temps-là. a. m.