Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/430

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core une expression remarquable. Ce n’était que l’énorme disproportion de la tête avec le tronc, qui faisait paraître les traits burlesques et bizarres, effet considérablement augmenté par les moustaches du nain, que son plaisir était de porter si longues qu’elles allaient presque rejoindre ses cheveux grisonnants.

Le costume de cette singulière créature annonçait qu’elle n’était pas absolument exempte du goût malheureux qui porte souvent les êtres affligés par la nature de difformités corporelles à se distinguer, et en même temps à se rendre ridicules, par l’usage de couleurs voyantes et de vêtements ayant une forme extraordinaire et fantasque. Mais les galons, les broderies et toutes les autres élégances du pauvre Geoffrey Hudson avaient été ternies et souillées par le séjour qu’il avait fait en prison sous la vague et malicieuse accusation d’avoir, d’une manière ou d’une autre, trempé dans la conspiration papiste, ce tourbillon qui entraînait tout et dévorait tout : une telle imputation, sortant de la bouche la plus impure et la plus calomniatrice, était alors assez forte pour noircir la meilleure réputation. On va voir bientôt que, dans les opinions et dans les discours du pauvre nain, il y avait quelque chose d’analogue au goût absurde de son costume ; car, de même que, dans ses habits les belles étoffes et les ornements magnifiques devenaient ridicules par la façon grotesque dont ils étaient employés, de même les éclairs de bon sens et les sentiments honorables que montrait souvent le petit homme devenaient absurdes par la manie qu’il avait de vouloir toujours prendre des airs d’importance, et par la crainte continuelle qu’il éprouvait d’être méprisé à cause de la singularité de ses formes extérieures.

Après que les deux compagnons de captivité se furent regardés quelque temps en silence, le nain pensa que sa dignité, comme premier occupant de leur chambre commune, lui commandait d’en faire les honneurs au nouveau venu. « Monsieur, » dit-il à Julien, en modifiant le ton alternativement dur et criard de sa voix par des inflexions qu’il s’efforçait de rendre harmonieuses, « je comprends que vous êtes le fils de mon digne homonyme sir Geoffrey Peveril du Pic. Je vous assure que j’ai vu votre père en des lieux où les coups pleuvaient plus dru que les pièces d’or ; et pour un homme grand et lourd, auquel il manquait, comme nous le pensions, nous autres guerriers, un peu de cette légèreté, de cette activité, qui distinguait nos cavaliers plus agiles, il s’ac-